[Translated from Arabic into French by Rania Samara]
Premier carnet
Tentes, mousseline et tamis
Tapi dans un angle de la pièce Hadi Annabi observait les étrangers et se rappelait ses trente ans d’absence, au bout desquelles il était revenu à Annabiya, métamorphosé, le visage frais, les mains propres, nettes et soignées. Il avait ramené dans sa valise des choses que personne n’avait pu voir et parlait de choses que personne n’avait comprises. Il disait que le fer flottait sur l’eau et avançait comme une bête de somme chargée d’hommes, de coton et de sésame. Il disait aussi avoir vu l’empreinte du pied du Prophète, gravée dans le marbre au musée d’Istanbul et que le Sultan s’unissait à une femme différente chaque jour. Il racontait que plus de cinq cents hommes, femmes et enfants étaient morts à Damas en l’espace de deux heures, lorsqu’un firman avait été proclamé, ordonnant l’exécution des otages dans le grand caravansérail, situé à l’est de la ville, sur la route de Bagdad. Les assassins, une vingtaine d’hommes, achevaient les prisonniers avec des tubes en métal, chargés de balles qui dégageaient une odeur de poudre et faisaient jaillir les flammes du bout du cylindre dressé comme un bec de dindon.
Mon aïeul, Souelem IV, se leva pour aller chercher une bassine d’eau dans laquelle il fit voguer un morceau de fer qui tomba au fond de la bassine instantanément parmi les rires des Annabi et les protestations de Hadi qui répétait sans cesse que le fer s’appelait navire, et que l’eau s’appelait mer. Ils murmuraient qu’il était devenu fou.
Tapi dans un angle de la pièce, Hadi Annabi observait les étrangers et se disait qu’il ne pourrait plus traverser la route de l’Est où était la ville aux lumières qu’il avait aimée. Hadi Annabi ne se nourrissait plus que d’herbes sauvages, il est mort après avoir perdu la raison à force de chercher à l’ouest du village la montagne où étaient enfouis l’or et les squelettes des membres de la caravane qui avait perdu son chemin alors qu’elle faisait la collecte de la taxe dans la contrée. La caravane avait été emportée par une pluie torrentielle, sa disparition avait menacé de faillite la trésorerie du Calife Abdelmalek Ibn Marwân.
Les Annabi avaient gardé le bonnet rond de Hadi et sa canne vernie dont le pommeau représentait une tête de monstre légendaire à la gueule fermée. En fouillant dans sa valise, ils avaient trouvé des tissus bizarres et des objets mystérieux cliquetants et chatoyants, ils les brûlèrent en conjurant le sort. Et moi, je ne cessais de chercher les sources de l’histoire au milieu des ruines de l’Histoire qui nous étaient parvenues par hasard. Des mortels et des décombres…
Le doute n’habitait pas mon imagination, les questions téméraires qui se répercutaient m’apprenaient à tergiverser afin de pouvoir remonter aux racines de l’histoire. Des maisons et des étables, de la terre, du foin, des brindilles séchées pour construire les murs, une brique sur l’autre, avides de torchis. Des clous pour accrocher les vêtements et des tapis multicolores venus de La Mecque avec les caravanes qui rentraient après avoir reçu la bénédiction à la source de Zamzam et à la pierre noire et lisse de la Kaaba.Des étagères pour les grands plats de cuivre étamés, rangés en attendant les rares festins. Des maisons et des ruelles étroites. Les étables des brebis voisinant avec les écuries des mulets qui voisinaient avec les chambres à coucher. Tout avait été planifié pour que ces décombres prennent le nom de « village », lieu habité, reconnu par les régions voisines et par les instances du gouvernement dont le tribut des chefs-lieux et des représentants était levé par les gendarmes qui venaient violer le silence et la tranquillité en martelant la terre avec les sabots de leurs destriers et avec leurs bottes astiquées et bien vernies.
Annabiya, village perdu au milieu des terres, entre les doigts des montagnes qui l’enserraient de trois côtés et qui s’ouvraient au sud sur les terres arides et les grottes. Personne n’avait prêté attention à ce « crachat » – selon l’expression d’un préfet – estimé, lors du recensement du gouvernement ottoman de 1783, à quelque quatre cents âmes qui avaient dénigré leur inscription sur les registres, même sur celui des allocations gracieusement accordées aux villages qui déclaraient leur allégeance à la Sublime Porte.
Treize ans après avoir effectué le recensement des humains, des arbres, des bêtes : chevaux, mulets galeux, brebis – y compris les chèvres et les poules que rien n’avait pu protéger contre les chiffres tombant en cascade dans les grands cahiers noirs – les membres d’une patrouille, ayant perdu leur chemin, avaient été surpris par la nuit devant une maison à l’entrée du village. Ils furent frappés de stupeur à la vue de ces visages figés qui ressemblaient à des momies auxquelles on avait ôté les bandelettes, dans un village qui n’avait pas l’air d’avoir eu vent des événements survenus dans la contrée et qui ne s’occupait pas des caravanes qui passaient à proximité. Les paroles échangées avec les gens qui les avaient bien accueillis leur firent rapidement comprendre que les frontières se fermaient au-delà de ce chemin tortueux qui happait leurs enfants et risquait de ne les leur ramener qu’au bout d’un long périple.
La patrouille revint donc en compagnie des préposés au cadastre, bâillant aux corneilles comme s’ils étaient pris d’une lassitude éternelle laissant croire qu’une drogue flottait dans l’air de la région et constituait une force centrifuge qui rejetait les étrangers. La campagne officielle devint plus intense ; les habitants, muets de stupeur, palpaient les uniformes des gendarmes et étaient épatés par les bottes qui brillaient comme des miroirs sous le soleil printanier.
Bien qu’effarouchés, les Annabi répondirent quand même à toutes les questions qui leur étaient posées, mais, en comprenant que ces registres défraîchis allaient leur créer des partenaires qui viendraient partager leurs moissons, ils se mirent à louvoyer et à fermer leurs portes au nez des agents. Ces derniers les menacèrent de faire venir les gendarmes qui briseront les portes, arracheront les clôtures des étables et donneront de nouveaux noms aux gens. Cette dernière menace en particulier les fit beaucoup rire. En effet, après le départ des agents avec leurs gros registres, les Annabi décidèrent entre eux de garder leurs noms d’avant et d’oublier les nouveaux patronymes ridicules qu’ils avaient donnés à inscrire sur les décrets officiels ornés du sceau du gouvernement central et qui appartenaient pour la plupart à des personnes décédées et enterrées depuis une cinquantaine d’année au moins.
Éparpillement de couleurs à Annabiya. Poussière que mon père, Mohammad Salim, débusquait sur les carapaces de ses tortues. J’ignorais depuis quand il avait commencé à les collectionner et à les bourrer de paille pour inciter les araignées à venir y tisser leurs toiles. Il répétait souvent que les araignées étaient sacrées pour avoir protégé le Prophète et trompé les polythéistes. Ma mère acquiesçait, tout en se remettant à Dieu de voir les carapaces de tortues s’amonceler sur les étagères et les araignées baigner dans cette quiétude. Je regardais les habits poussiéreux et les mains crasseuses de mon père tandis qu’il nettoyait ses carapaces, je me tenais à la porte, suçant mon pouce, perdu dans toutes ces couleurs.
Un monde que je ne réussissais pas à déchiffrer. Du vert, du jaune, une colonne de poussière qui descendait en biais par l’ouverture du toit. Mon père, comme à son habitude, ne parlait pas beaucoup, ne répondait pas aux piques que lui lançait ma mère ni à ses menaces de jeter sa collection de carapaces de tortues à la poubelle et d’en finir avec sa lubie. Mes sœurs Fatima, Aïcha et Zalikha bavardaient à voix basse, j’entendais leurs rires pendant qu’elles prenaient leur bain. Fatima a dix-huit ans, j’aimais ses yeux noirs, son beau visage brun et son rire quand elle allait vider l’eau de sa bassine dans le grand tonneau. Aïcha avait un an de moins qu’elle, Zalikha venait ensuite avec ses tentatives désespérées pour grandir avant son temps ; ma mère la réprimandait souvent lorsqu’elle voyait les mèches de ses cheveux s’échapper de l’écharpe noire brodée de perles bleues.
Les ruelles d’Annabiya étaient silencieuses, je revenais à la maison, couvert de poussière et du souvenir des demeures abandonnées. Zalikha et Aïcha étaient seules désormais, après le départ de Fatima avec son mari qui travaillait à Beyrouth. Ma mère avait demandé à son gendre de bien veiller sur sa fille, car Beyrouth était une grande ville et les gens y étaient impitoyables avec les étrangers. Fatima s’était réjouie des robes délicates qu’Ali avait apportées dans la valise de cuir marron dont les serrures avaient tant intrigué Zalikha au point qu’elle passa la journée à les ouvrir et les fermer, se délectant de la douceur du cuir. Fatima avait appelé Aïcha et Zalikha dans la chambre du haut, avait fermé portes et fenêtres avant d’étaler ses robes.
Elle les enfila l’une après l’autre, les perlons rouges et bleus avaient piqué sa curiosité tout particulièrement tant elles étaient osées. Ses éclats de rires parvenaient jusqu’à moi pendant que je tournais en rond de la cour à la chambre de ma grand-mère. Zalikha me dit plus tard qu’Aïcha avait essayé toutes les robes de Fatima, qu’elle avait mis du rouge à lèvres et qu’elle avait apprécié en soupirant le doux toucher du perlon sur son corps.
Ali arriva le soir avec ses parents, on les installa à la place d’honneur. En face d’eux, il y avait mon père, silencieux et absent, à côté de mon oncle Abou al-Hayem, que ma mère avait fait expressément venir. Je me tenais sur le seuil, regardant ma mère, chaleureuse, accueillante et forte. Elle souscrivait aux paroles de mon oncle qui faisait l’éloge du jeune fiancé, ajoutant que nous formions une seule famille et que nous avions finalement renoncé aux exigences de ma mère qui ne voulait pas voir Fatima partir au loin et désirait qu’Ali revienne s’établir au village. Car après tout, il était l’homme et sa femme devait le suivre. Les convives approuvaient les paroles de mon oncle, mon père opinait du chef. Le lendemain, ma mère partit à Alep avec Fatima, mon père, Ali et sa mère, pour acheter ce qui manquait au trousseau. Je m’étais réveillé le matin au bruit des préparatifs du voyage, Fatima portait une robe blanche à fleurs rouges brodées de fils d’or ; la robe était très serrée à la taille, elle mettait en valeur ses seins et lui dégageait le cou. La nouvelle écharpe noire encadrait merveilleusement la beauté et la fraîcheur de son visage.
Par la fenêtre, je vis ma mère faire ses recommandations à Aïcha pour bien s’occuper de moi, de la grand-mère et de la maison. Avec son baluchon, elle courait derrière la voiture qui klaxonnait pour la faire se hâter. Aïcha me regardait descendre de l’étage d’où j’aimais regarder les sept pièces bien alignées qui composaient la grande maison. Elle se dirigeait vers la chambre de grand-mère avec le petit-déjeuner et des vêtements propres. J’entendais la voix de ma grand-mère, douce, calme, assurée, quoique un peu chevrotante. J’étais resté au seuil tandis qu’Aïcha lui arrangeait la coiffe. Son visage m’accompagnait toujours, avec ses rides où se sont concentrées les joies et les peines de tous, à l’exclusion de leurs journées monotones et régulières qui ressemblaient au lourd martèlement des pas sur les dalles de pierre. Sa mémoire étonnante nous laissait perplexes tant elle était vive, elle ressemblait à un rocher de granit isolé, sur lequel on avait gravé avec une pointe d’acier les dates, les visages, les noms et les odeurs. Grand-mère n’était pas la nôtre seulement, elle était à tous les Annabi : à leur naissance, elle avait enduit de sel leurs corps avant de les emmailloter dans des haillons. Elle avait traversé la vie de tous avec son visage de lin froissé et l’on continuait à débattre de son âge, du nombre des absents qu’elle avait accompagnés jusqu’à la sortie du village et dont elle attendait toujours le retour. On racontait qu’elle est née avec la première brique de ces maisons délabrées et qu’elle ne finirait que le jour du jugement dernier et la résurrection d’Annab, le premier ancêtre.
J’étais debout sur le seuil et j’observais le mur passé à la chaux blanche. Ma grand-mère s’était réveillée, enveloppée de cette déférence que je décelais dans le regard des autres. Je m’approchai, mais Aïcha protesta et tenta de me retenir en me disant va-t-en, grand-mère va prendre son petit-déjeuner. Ma grand-mère lui dit de me laisser, Aïcha me fit signe de déguerpir, je ne lui obéis pas.
J’aimais les couleurs de ses vêtements, l’odeur de ses mains quand elle me caressait les cheveux. Ses yeux intimaient à mon père l’ordre de cesser ses mauvaises habitudes, de grandir enfin et de devenir un homme respectable comme mon grand-père, ou du moins comme mes oncles qui sont partis au loin. Mon père s’assit sur le seuil et fixa le vide. Ma grand-mère ne parlait que très rarement, elle ne sortait de sa chambre que pour se rendre au mausolée d’Annab, considéré par tout le monde comme le grand ancêtre qui s’était installé sur cette terre et qui avait donné à notre lignée la légitimité d’exister. De temps en temps, elle racontait l’histoire aux gens réunis en cercle autour d’elle. J’aimais la lumière qui émanait de ses yeux, j’écoutais les légendes qu’on racontait sur elle et je m’en délectais. Plus tard, je m’étais mis à croire qu’elle avait des liens réels avec tout ce qu’on disait à son propos. J’étais le mâle, fier de sa virilité, le porteur de ce grand héritage qui commençait à m’emprisonner et me faisait oublier le parfum des prairies.
Ma sœur Fatima rentra avec ma mère le soir. Ali les déposa avec les sacs et les baluchons au seuil de la grande pièce avant d’entrer chez ma grand-mère. Il lui baisa la main avec déférence, elle murmura de longues prières à son intention, souriant malicieusement en constatant son hésitation au moment de prendre congé d’elle.
Je vis Fatima faire un clin d’œil à Ali au moment de prendre congé et je vis le sourire de ce dernier alors qu’il sortait par la grande porte en remerciant mon père de l’avoir invité à dîner. Fatima porta les affaires dans la chambre du haut et me chassa lorsque Aïcha, Zalikha et d’autres filles que je ne connaissais pas l’eurent rejointe. Ma mère riait en traversant la cour avec une assiette de pommes qu’elle destinait à la grand-mère. Je demeurais près de grand-mère tandis que ma mère lui racontait comment elle les avait obligés à acquérir quatre draps, trois robes et d’autres choses encore qu’elle énuméra en en chuchotant à l’oreille de ma grand-mère, qui se mit à rire, laissant entrevoir sa bouche profonde et ses dents rouges. Ma mère m’avait rapporté une chemise et un pantalon et à ma grand-mère de nombreuses choses que je ne pus distinguer et qui lui firent hocher la tête. Les voix des filles dans la chambre du haut m’intriguaient, les parfums qui s’échappaient par les fissures m’embarquaient vers des univers enchantés.
Zalikha me raconta ensuite qu’elles avaient habillé Fatima en mariée, qu’elle était belle, qu’elle avait étalé ses nouvelles robes, ses chemises de nuit en perlon et ses sous-vêtements choisis avec perspicacité, car elles n’avaient pas idée à quel point ils mettaient en valeur le sexe lorsqu’ils étaient enfilés. Zalikha ne me dit pas tout, mais j’entendais les soupirs des autres filles, surtout ceux d’Aïcha qui ne cessait de mettre et de remettre le soutien-gorge demandant à ma mère de lui en acheter un exactement pareil. À la réponse lorsque tu te marieras, elle protesta en disant qu’elle ne se marierait jamais si ma mère continuait à repousser les demandes en mariages sous prétexte de lui trouver un beau parti, qu’elle allait devenir vieille et laide, qu’elle ne se marierait pas à la façon des vieilles filles, obligées d’accepter des vieux, des veufs ou de devenir des deuxièmes épouses. Elle ajouta qu’elle n’épouserait que quelqu’un qui lui conviendrait parfaitement. Pendant les quelques jours qui avaient précédé les noces de Fatima, Aïcha paraissait différente, elle était soucieuse, toujours occupée, éreintée par les travaux ménagers. Le jour du mariage, elle s’était assise à côté de Fatima, la voix enrouée d’avoir tant chanté et poussé des youyous. Ma grand-mère était très gaie, son entrée dans la chambre du haut au bras de mon oncle Abou al-Hayem, parfumé, rasé de près et la mine réjouie, avait soulevé l’enthousiasme des femmes qui poussaient des youyous à qui mieux mieux. Habillée de blanc et le visage enduit de produits de beauté, Fatima se leva, baisa la main de ma grand-mère qui paraissait rajeunie, installée sur la chaise qu’on avait placée spécialement pour elle à côté de la mariée.
M’ayant vu bien calé dans les bras de ma grand-mère, ma mère me rabroua pour me faire déguerpir, disant que j’étais un jeune homme maintenant, mais la présence de mon oncle, venu féliciter Fatima, me rassura. Je pris sa main pour descendre rejoindre les hommes dans la grande pièce et écouter le tambour qu’on battait dans la maison d’Ali. C’était délicieux de faire intrusion dans un rassemblement de femmes où tout était excitant… Les seins, les cheveux, les désirs fusants des regards galvanisaient ta virilité et violaient ta nudité camouflée. Ali me parut ridicule en entrant chez nous avec son père, ses frères et ses amis, en s’installant sur la chaise surélevée d’un grand coussin, à côté de ma sœur, en baissant les yeux, honteux devant ces désirs féminins émoustillants offerts à son regard. Sa mère poussa de longs youyous, puis Fatima se leva, baisa la main de mon père, salua mon oncle et m’embrassa. Elle sentait bon. Je vis une larme briller dans ses yeux pendant qu’elle embrassait Aïcha, Zalikha et ma mère, puis sa larme jaillit lorsqu’elle se retrouva avec Ali devant ma grand-mère qui s’était levée pour bénir cette union en proférant quelques mots que je n’entendis pas bien au milieu de ce tintamarre.
Mon oncle Abou al-Hayem était un vrai séducteur, je le regardais batifoler au milieu des femmes, il dansait et leur lançait des œillades qui les faisaient rougir. Le cortège parti, je me rendis compte que mes nouveaux vêtements s’étaient sali et avaient perdu le lustre dont je m’étais enorgueilli devant les gosses d’Annabiya, alors que j’accrochais mon médaillon à la boutonnière de mon pantalon ou pendant que je boutonnais et déboutonnais sans arrêt le col de ma chemise. Je vis mes deux sœurs et ma mère pleurer et rire à la fois avant de décider des nouveaux arrangements pour la nuit. Mes sœurs prirent possession de la chambre du haut après y avoir fait le ménage de fond en comble. Mon père rassembla hâtivement les carapaces de ses tortues dans une caisse en fer-blanc, ma mère ne lui ayant pas laissé le temps de les mettre en ordre, elle l’avait fait descendre derechef à la grande pièce, lui disposant une couche en plein milieu, prenant dans le vieux coffre des draps propres. Zalikha me dit le lendemain qu’Aïcha avait gémi et poussé des cris extasiés toute la nuit en mettant la main sur son sexe et en se tortillant, tandis qu’elle-même était enfouie, pleine d’effroi, sous la couverture. Elle ajouta qu’Aïcha ne s’était calmée qu’aux premières lueurs de l’aube.