Semaine 11, Whitman and the Civil War

Washington, D.C. Les patients dans la Garde K de l’Hôpital Armory Square  (Bibliothèque du Congrès)
Washington, D.C. Les patients dans la Garde K de l’Hôpital Armory Square (Bibliothèque du Congrès)
Foreword: 

Whitman, dans ses écrits, aborda la Guerre Civile sous l’angle de formes, de contextes, de situations très variés. Même dans les hôpitaux engorgés de la capitale de la nation, lors de ses visites aux soldats blessés et malades, il ne manquait jamais d’emporter avec lui ses petits carnets auxquels il confiait ses observations. Dès qu’il s'asseyait au chevet d’un soldat souffrant, il notait ses confidences. Partant de ces cahiers où il recueillait des milliers de témoignages de soldats, où sont répertoriés leurs noms, leur état d’origine, leurs blessures et leurs maladies, où sont relatées leurs histoires de vie aussi bien que de bataille, il tissa ainsi nombre de ses poèmes sur la guerre de Sécession. De ces mêmes cahiers il tira les dépêches qu’il écrivit pour plusieurs journaux (le New York Times y compris) sur la guerre, et son travail à l’hôpital. De ces mêmes articles qui l’inspireront, il créera ses Mémorandums pendant la guerre et Journées prélevées. Il retourna aussi à ces cahiers quand il écrivit ses lettres, qui contiennent certains de ses plus puissants écrits sur la guerre de Sécession. Pour Whitman, les frontières entre l’écriture informelle des cahiers, celle du journalisme, de la poésie, et de la correspondance étaient poreuses, et on peut souvent trouver les mêmes images qui apparaissent dans la prose et la poésie, dans les notes griffonnées, et dans les poèmes publiés. La tendance de Whitman à faire fondre et fusionner poésie et prose est évidente à partir des années 1850, mais elle s’intensifie au cours des années où il vécut la guerre à Washington, D.C. Certains passages de sa poésie ont des accents cousins à ce qui se lit dans ses articles de journaux et les extraits de ses lettres ont l’air de pouvoir s’aligner pour faire naître un poème.

La remarquable lettre de Whitman à Margaret Curtis est en réponse à une lettre qu’elle lui écrivit le 1 octobre. Elle envoya 30 dollars au poète et lui expliqua en quelle occasion elle et son mari, conseiller de Boston, avaient écouté quelqu’un lire à haute voix une lettre que Whitman avait écrite au Dr LeBaron Russell, un médecin de Boston qui avait également envoyé de l’argent à Whitman pour soutenir son travail à l’hôpital : « Ce fut avec le plus vif intérêt que M. Curtis et moi-même avons écouté la lecture de la lettre que vous avez récemment écrite au Dr Russell, qui nous est parvenue grâce à ma sœur, Mlle Stevenson. Tout ceci eut pour effet de nous inciter à vous aider et contribuer ainsi à la noble tâche que vous menez à prendre soin des soldats malades et blessés. Nous joignons trente dollars, et sommes très heureux d’ainsi pouvoir répondre à leurs besoins et confort. » Ce à quoi nous assistons ici, ainsi que le critique Martin Buinicki l’a récemment démontré, est la naissance de l’un des premiers réseaux de collecte de fonds. Les lettres que Whitman écrit aux donateurs racontent par le menu la vie des soldats, les moments déchirants, la souffrance rencontrée et met l'accent sur l’efficacité des petits cadeaux que Whitman a pu distribuer dans les hôpitaux grâce à l'argent qu’il reçoit. Si, dans ses lettres, Whitman prend le temps de rendre compte précisément des horribles détails qui se rapportent à l’hôpital, c’est pour que des personnes comme le Docteur Russel et Margaret Curtis en fassent la lecture à leurs amis, les fassent circuler et lire à d’autres amis et ainsi contribuent à élargir son cercle de soutien. Jeff, le frère cadet de Whitman, qui ne servit jamais dans la guerre, coordonna beaucoup ce travail de collecte de fonds, conseilla à Walt d’écrire des lettres, relatant au mieux les détails, à chacun des donateurs. Comme le montre Buinicki, Whitman et son frère Jeff développèrent un réseau de collecte de fonds informel, précurseur des réseaux mécanisées plus sophistiqués que les organismes de bienfaisance utilisent pour collecter des fonds aujourd’hui. L’émotion brute transmise dans les lettres de Whitman, exprimée avec douleur et sincérité, ne réussit qu’à faire rentrer très peu d'argent, juste assez pour permettre à Whitman de poursuivre une miraculeuse tournée de plusieurs centaines d’hôpitaux qu’il visita et qui l’épuisa, le faisant s’asseoir aux chevets d’au moins 100 000 soldats, leur distribuant de simples friandises mais surtout leur apportant une profonde et précieuse affection.

Whitman reçut une décoration par la Commission chrétienne américaine, une organisation dirigée par des pasteurs protestants et créée pour soutenir les soldats dans les hôpitaux (contrairement à la Commission Sanitaire officielle des États-Unis qui avait pour mission de remettre sur pied les soldats et les renvoyer sur les champs de bataille). La réputation de Whitman en tant que poète « immoral » et son défaut d’appartenance à l’église rendit son affiliation à la Commission chrétienne précaire et c’est ainsi que Whitman finit par fonctionner par ses propres moyens, distribuant des cadeaux non officiels ; cela allait du cognac à de petites sommes d’argent, des bonbons, de la crème glacée et des fruits aussi : le réconfort qu’offre la religion, Whitman ne l’offrait pas, il se préoccupait plutôt de leur réconfort physique, par le biais de contacts. Il s’asseyait aux cotés des soldats grièvement blessés et tentait de les apaiser en les touchant — ceux qu’il avait coutume d’appeler « les cas qui nécessitent une attention toute particulière » — ceux qu’il embrassait. Il développa des relations complexes et extrêmement différentes avec beaucoup d’entre eux — parfois paternelles, parfois fraternelles, parfois érotiques et la plupart du temps maternelles. Il couvait les blessés, leur préparait la nourriture, les nourrissait : « on doit rester gai et garder notre calme, ne pas leur laisser voir combien leur cas est difficile, on doit leur consacrer du temps, découvrir leurs particularités — se dévouer pour eux — les nourrir, leur trouver la juste et bonne chose à boire — leur prodiguer de l’affection, les apaiser, les revigorer, les embrasser, faire fi de toute gêne superflue, et se battre pour eux, pour ainsi dire, avec toutes les armes. » Dans son esprit, Witman menait sa propre guerre, tous les soirs, dans les hôpitaux de l’armée, mais ses armes à lui étaient les arts guérisseurs aux doux noms de: affection, amour, joie des petits cadeaux, baisers occasionnels. La vraie guerre que Whitman mena était celle de la Vie, et non celle de la mort, même s’il la croisa beaucoup. Whitman pouvait ressentir que la tâche qui le conduisait à visiter les hôpitaux que beaucoup de visiteurs désertaient était celle d’une « âme féminine » qui lui offrit le cadeau le plus inattendu, à savoir le don du bonheur dans un lieu « d'amputations, de sang, de mort »: « Je ne doute pas que votre âme féminine », écrit-il à Margaret Curtis, « saura deviner que ce genre de tâche bénit celui qui donne tout autant que celui qui reçoit. Je n’ai jamais été aussi heureux que durant certaines de ces heures, en prodiguant des soins dans les hôpitaux. »

—EF

Whitman à Margaret S. Curtis, le 4 octobre, 1863

Washington, | Armory Sq Hospital,
Dimanche soir, le 4 octobre

Chère Madame,

J’ai bien reçu votre lettre ce matin et les 30 dollars joints à l’intention de mes chers garçons, oui ils me sont devenus chers ; ils sont blessés et malades ici, dans les hôpitaux publics — En l’occurrence je m’empresse d’accuser bonne réception de votre lettre de bienvenue et de votre aimable contribution pendant que je me trouve parmi ceux à qui vous l’adressez — et la meilleure façon de le faire est de vous décrire la vie réelle de l’hôpital, avec mes allées et venues durant ces deux, trois dernières heures — Alors que je vous écris, je me tiens assis dans une grande salle assez remplie où se trouve un garçon de 18 ans alité, qui appartient à la Compagnie M, 2ème cavalerie de NY et qui fut blessé il y a trois semaines, jour pour jour, à Culpepper — il a reçu un éclat d’obus à la jambe au dessous du genou — le mollet de la jambe est en partie déchiré, (l’obus a tué son cheval) —pourtant aucun os fracturé, mais une assez vilaine et importante plaie — j’écris à sa mère, elle habite Comac, Suffolk Co. NY — Tous les trois jours à peu près, elle reçoit ces lettres et doit les lire comme écrites de la plume de son fils — cela réjouit beaucoup le garçon — il a quatre sœurs — à elles aussi, je dois aussi leur écrire occasionnellement — malgré son très jeune âge, il a déjà participé à de nombreux combats et m’en parle avec finesse, mais seulement si je le sollicite — C’est un garçon enjoué, débonnaire — il doit garder le lit en permanence, sa jambe dans une armature — je lui apporte des choses —il ne ne se répand pas en remerciements — c’est un garçon de la campagne — il sourit toujours et et son visage s'illumine dès mon arrivée — il me regarde droit les yeux sans jamais vérifier ce que mes mains lui apportent — si je peux le décrire si précisément, c’est qu’il est non loin de moi et, qu’il ne m’a pas lâché du regard depuis que je vous écris cette lettre.

Il y a quelques 25 ou 30 gardes, des casernes, des tentes, etc. dans cet hôpital — je me trouve à la garde C qui contient suffisamment de lits pour accueillir 60 patients, ils sont presque tous occupés — il en va de même pour la plupart des autres gardes principales — voyez, un hôpital public américain est une véritable cité — il est doté d'une police en faction, de manière permanente, de sentinelles armées, postées à chaque porte, à chaque passage, etc. — d’une importante équipe de chirurgiens, de cadets, d’infirmières et d’infirmiers etc. etc. Je viens ici assez régulièrement ; il est vrai que cet hôpital accueille les cas les plus pathétiques et ne reçoit que trop peu de visites — en ce moment-ci, peu de visiteurs à l’hôpital — ça n’intéresse plus grand monde — le Dr Bliss, directeur ici, est un excellent chirurgien aussi — il peut, le même jour, procéder à plusieurs amputations et opérer d’autres cas tout autant — les amputations, le sang, la mort, c'est monnaie courante ici — vous pourrez surprendre à l’autre bout de la pièce un groupe en train de jouer aux cartes avec passion.

Chaque jour, chaque soir, je rends visite aux malades — jusque tard dans la nuit pour une occasion exceptionnelle. Je crois que je n’ai pas été absent plus de deux jours, ces six derniers mois. C’est tout un art de visiter les hôpitaux et faire du bien. Le nombre de malades, de pauvres, de blessés, et de jeunes hommes mourants est impressionnant. On se sent souvent perdu, découragé, et on a l’impression de n’apporter aucune aide — il y a tant à faire qu’on peut se sentir impuissant. Il me semble, dans ma lettre au Dr Russel, avoir stipulé que j’essaierai de donner quelque chose, même si ce n’est pas grand chose, lorsque je visiterai une Garde, lors d’un tour rapide — et ensuite je me consacrerai, plus à loisir, aux cas qui nécessitent une attention toute particulière. Dans chaque Garde, la pratique vous amène à trouver un patient ou deux, ou plus encore qui se trouvent en équilibre précaire, victimes d’une infection aiguë d’une plaie, dont le rétablissement est aléatoire, et la mort imprévisible aussi. Je vais vous avouer, Madame, que je pense avoir, face à ces cas là, de l’instinct et un certain savoir faire inné. Pauvres jeunes gens, combien en ai-je vus, et connus — comme il est pitoyable de les voir — on doit rester gai et garder notre calme, ne pas leur laisser voir combien leur cas est difficile, on doit leur consacrer du temps, découvrir leurs particularités — se dévouer pour eux — les nourrir, leur trouver la juste et bonne chose à boire — leur prodiguer de l’affection, les apaiser, les revigorer, les embrasser, faire fi de toute gêne superflue, et se battre pour eux, pour ainsi dire, avec toutes les armes. Je ne doute pas que votre âme féminine saura deviner que ce genre de tâche bénit celui qui donne tout autant que celui qui reçoit. Je n’ai jamais été aussi heureux que durant certaines de ces heures, en prodiguant des soins dans les hôpitaux.

Il est maintenant entre 8 et 9 heures du soir — l’atmosphère est plutôt solennelle ici ce soir — il y a des hommes très malades ici — un tableau étrange à voir — la Garde fait peut-être 120 à 30 pieds de long — chaque lit de camp est pourvu d’un rideau moustiquaire blanc — parfois, un soupir, un gémissement — au centre de la salle, l’infirmière est assise à une petite table où une lampe diffuse une lumière tamisée, elle est en train de lire — murs et toits etc. sont blanchis à la chaux — la salle est éclairée d’un bout à l’autre par quelques becs de gaz réglés à demi — On est dimanche soir — aujourd’hui je suis allé à l’hôpital, peu importe où précisément et y suis resté 3 heures — j’ai servi la soupe à quelques hommes, très malades, à certains autres en convalescence à l’estomac fragile et à d’autres encore aux bras grièvement blessés — quelques pêches pelées, et coupées, avec du sucre en poudre, très rafraîchissantes — ils aiment que je m’assoie parmi eux et les pèle, les découpe dans un verre, et les saupoudre de sucre — (Ces petits-riens peuvent vous intéresser).

J’ai donné, cet après-midi, quelque argent à trois de ces hommes — je prends le soin de me munir de nombreux billets neufs et brillants de 10 et 5 centimes, et quand je leur offre de petites sommes, ce sont ces petites coupures que leur donne. Chaque détail doit être soigné, optimisé — leur donner des billets de 10 centimes, tout neufs et brillants, choisis, participe à rompre la monotonie de la vie d’hôpital.

Afterword: 

Lire la correspondance d’un poète révèle la distance qui sépare la vie de l’art. En effet, si la poésie possède un langage choisi, concis, si elle peut distiller mots et phrases et même les habiller d’une mélodie pour faire chavirer les cœurs et étourdir les esprits, si elle permet une alchimie des caractères, il est précieux, grâce à des lettres rédigées avec soin ou à la hâte aussi parfois, alors que le poète n’avait pas le regard fixé vers l’éternité, de découvrir les sources secrètes de ses œuvres littéraires qui perdurent. Cela peut s’appliquer tout autant à la correspondance de Whitman où, comme chez la plupart des poètes, s’épousent ragots, idées, informations, réflexions, affaires. Il présenta ses poèmes aux éditeurs, souvent de façon arrogante ; sollicita de l’aide pour obtenir un emploi (il fut recommandé par Ralph Waldo Emerson dans la lettre qu’il adressa au secrétaire d’État William H. Seward et qui est un modèle de tact) ; il détailla ce qu’il avait vu et entendu. Quand dans sa lettre à Margaret S. Curtis, il la remercie pour les 30 dollars qu’il répartira entre les soldats blessés, il ne le fait pas de façon classique ; il prend le temps de décrire en détail la vie dans les salles ; par souci de transparence pour sa bienfaitrice, il rend compte scrupuleusement de l’utilisation de cet argent sans manquer de relater la tragique réalité qu’impose la guerre. Sa remarquable courtoisie présente ses requêtes avec élégance et éclaire de bienveillance les heures qu’il passe aux cotés de ces hommes dont la vie chancelle et s’allège parfois grâce aux petits cadeaux qu’il leur confie.

« C'est tout un art de savoir réussir ses visites dans les hôpitaux », écrit Whitman, ces visites doivent servir au milieu de tant de souffrances. Le don de reconnaître ceux qui apprécieront tel ou tel cadeau était en corrélation avec son instinct poétique, ces deux qualités issues de son talent, de sa générosité et de son expérience, qui remplirent ses pages ; Sa bienveillance à courir au secours des blessés est une opportunité supplémentaire au profit de la littérature de guerre. « Chaque détail doit être soigné, optimisé — leur donner des billets de 10 centimes, tout neufs et brillants, choisis, participe à rompre la monotonie de la vie d’hôpital. »

« J’ai réalisé le rayonnement inouï de Whitman », écrivit Robert Lowell à Elizabeth Bishop, durant l’été 1966, « particulièrement entre trente et quarante ans, écrivant d’innombrables poèmes, une centaine par an, et pourtant il pouvait aussi consacrer de longs après-midis à se reposer, flâner, converser, en totale symbiose avec le monde qui l’entourait et qu’il observait. » À l’approche de son cinquantième anniversaire, Lowell rêvait de prendre une longue pause, sa vie avait été jalonnée d’épreuves. Il est probable que Whitman ressentit les mêmes désarrois durant la guerre, les jours de joie faisant place à la routine ardue qui eut raison de sa santé. Brisés par les ans, les deux hommes sont, malgré tout, parvenus à transformer la douleur en joyau artistique.

Le personnel hospitalier n’accueillit pas unanimement l’attention que Whitman prêtait aux soldats. « Voici l’odieux Walt Whitman qui tient ses discours blasphématoires à mes garçons », écrivit une infirmière à son mari. Ce sentiment persista dans certains quartiers pendant des années, ce qui conduisit le poète Norman Dubie à écrire : « Je n’ai aucune patience avec des individus qui méprisent en qualifiant d’érotiques les sortes de soins infirmiers de Whitman dans les hôpitaux de campagne de Washington. Les meilleurs soins que je vis furent prodigués par des femmes entièrement dévouées, dotées de grâce, dignes d’Éros. « Whitman confia à Margaret Curtis que « ce genre de tâche bénit celui qui donne tout autant que celui qui reçoit. Je n’ai jamais été aussi heureux que durant certaines de ces heures, en prodiguant des soins dans les hôpitaux. » Il existe pire sur terre que celui qui consacre une soirée afin de réconforter son prochain qui souffre.

—CM

Question: 

Comparez la lettre de Whitman adressée à Margaret Curtis, bienfaitrice, avec les récents appels de fonds que vous avez pu recevoir d’organismes de bienfaisance ou à des appels au don pour des organisations caritatives que vous avez vus à la télévision. Quelles sont les similitudes et les différences ?

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