Semaine 12, Whitman and the Civil War

Inscription de Walt Whitman à la station de métro Dupont Circle, à Washington, D.C. (photo de Benjamin Ong)
Inscription de Walt Whitman à la station de métro Dupont Circle, à Washington, D.C. (photo de Benjamin Ong)
Foreword: 

Sur les murs en granit de la station du métro Dupont Circle à Washington, D.C., formant un demi-cercle autour des escaliers mécaniques qui avalent et libèrent les passagers de la station, sont gravés les vers du « Panseur de plaies ») de Whitman (poème initialement intitulé tout simplement « Le soignant » ) : « Ainsi donc, en silence, sur la toile d’où se projettent les rêves, / Sur la carte du passé, je me retrouve et fais chemin parmi les hôpitaux ; / D’une main, je calme la douleur, j’apaise le blessé. / Toute la nuit, je reste avec les plus agités, assis à leurs côtés — certains sont si jeunes, / Leurs souffrances si intenses — je me rappelle la douceur et la tristesse. . . » Ces vers cités qu’on retrouve vers la toute fin du poème se terminent donc ainsi. Ce qui manque, ce sont les deux derniers vers du poème, entre parenthèses : « (Les bras affectueux de certains soldats enroulant mon cou, s’y lovant, / Que de baisers reposent sur ces lèvres barbues.) » Les vers de Whitman furent choisis pour honorer les nombreux médecins, infirmières et travailleurs de la santé bénévoles qui avaient, au péril de leur vie, soigné les victimes du sida pendant les années du fléau de cette maladie. Dupont Circle de D.C. fut le quartier gay de la capitale, et le poème de Whitman parlant des soins infirmiers prodigués aux jeunes hommes souffrants et mourants dans les hôpitaux durant la guerre de Sécession fit inévitablement écho au fléau que fut le sida durant les années 80 jusqu’au milieu des années 90 et qui balaya plus de 40 000 personnes chaque année avant que les progrès de la médecine réduisent de façon spectaculaire le taux de mortalité. Même si les vers gravés du poème de Whitman furent par la plupart applaudis, bon nombre au sein de la communauté gay furent troublés par la décision d’amputer la citation des derniers vers qui soulignaient la nature homoérotique des soins dans « Le Panseur de plaies », dépeignant sans gêne l’importance du contact physique entre soignant et patient, et mettant en lumière le rôle fondamental de l’étreinte, du baiser aussi, qui transformaient des soins médicaux techniques en soins teintés de compassion.

Le poème en entier de Whitman est un flot rageur de mots sans cesse interrompus par de multiples parenthèses et apartés, l’équivalent syntaxique des soins que le panseur de plaies administre et que le poème retrace : « J’avance, je m’arrête. » Cette course rythmée par la nécessité de soigner beaucoup de patients est freinée par le soin personnalisé à apporter à chacun, du temps nécessaire dont le panseur de plaies a besoin pour parler, pour toucher aussi. Pour être bon soignant, il faut être « ferme avec chacun » savoir passer au patient suivant, même s’il ressent « les douleurs aiguës, mais inévitables » même si chaque patient « me fixe d’un regard poignant » et que pour lui « si ma mort pouvait te sauver, alors je mourrais sans tarder.) » C’est cette expression, quasi christique, à l’éclairage sacrificiel, contenant en même temps l’évidente inutilité d’un tel sacrifice, qui met en exergue la difficulté de la tâche du panseur de plaies. S’il veut rester opérationnel, il doit taire toute empathie excessive, son efficacité réclamant une « main sûre », sans tremblements, des « genoux fléchis » stables et souples aussi, et lui permettant de s’agenouiller et de se lever sans flancher, capable de réagir « sans tarder » alors que ce qu’il voyait pouvait le fragiliser et faire de sa main « sûre » la main tendue de la compassion. « Je suis fidèle au poste », dit-il ; « je ne capitule jamais. » Cette déclaration est mâtinée d’une ambiguïté vacillante qui habite le poème tout entier : pour être « fidèle » à son travail, il ne peut pas se permettre de vaciller physiquement ou émotionnellement, et de « capituler. » Mais pour être « fidèle » à chaque patient qui souffre, il désire « s’abandonner » dans le sens du don total de soi, son amour à fleur de peau qui pour autant ne le freine pas dans sa course. C'est ainsi qu'il passe inexorablement d’une horreur à la suivante — d’une « main amputée », du « moignon ensanglanté » à la « blessure sur le côté », à l’« épaule qui a reçu une balle » et de la « gangrène putride », à la « cuisse fracturée, un genou, une plaie dans l’abdomen » — il doit étouffer en lui-même (tout comme il contient littéralement dans le poème entre parenthèses) un « feu, une flamme » qui brûle et fait rage en son « sein ». Il travaille pour guérir, pour apaiser, même quand il sait que de tels soins sont finalement inutiles (« Dans un jour ou deux, ce corps tout émacié ne sera plus que l’ombre de lui-même »). Il soigne des « têtes explosées », examine le « soldat de cavalerie dont une balle a transpercé le cou de part en part » et, tandis que sa main « impassible » soigne les plaies, en son sein (et en plein milieu des parenthèses) il appelle à mettre fin à cette souffrance insupportable (« Ô douce mort, viens sans faiblir! »).

Même si ce poème est souvent regardé comme un aveu autobiographique — d’autant plus que Whitman l’a bâti tel le souvenir d’un « vieil homme » répondant à des « enfants » avides du récit de cette guerre — il est bon de rappeler que jamais il ne fut réellement panseur de plaies au sein des hôpitaux, mais à coup sûr, observa-t-il de près et apprit-il à connaître ces personnes. Tout comme ses poèmes sur la guerre de Sécession se placent du point de vue des soldats, ce poème en particulier met en scène un personnage imaginé par Whitman — fruit de ses nombreuses observations sur le travail des réels panseurs de plaies et des entretiens qu’il en a tirés — témoignant des ressentis de ces infatigables travailleurs de la santé, de la trace laissée en eux-mêmes, à tout jamais. (« Quel souvenir ancré en vous-même gardez-vous »). Et ce qu’il imagine et qui s'est résolument ancré dans la mémoire (Whitman connut aussi les précieux effets d’un rapport serré avec les blessés ou les agonisants) est ce que l’inscription du poème à la station du métro Dupont Circle — située non loin de là où Whitman rendit visite aux blessés et aux soldats malades 150 ans plus tôt — omit : à savoir, les deux derniers vers entre parenthèses contenant ce que le panseur de plaies sait maintenant (et ce, bien après la guerre) et ce qui importait aux soldats bien plus que certains soins médicaux : l’étreinte et le baiser, le corps à corps, bouche contre bouche, le toucher de l’amour, qui, subrepticement, se glissaient parmi les souffrances, les irrémédiables morts.

—EF

« Le Panseur de plaies »

Vieil homme courbé, j’arrive, découvrant de nouveaux visages,
Interrogeant mon passé, pour tenter de répondre aux
enfants,
Raconte-nous vieil homme
, me demandent les jeunes gens
qui m’aiment ;
L’empreinte de ces scènes révolues, les traces de ces furieuses passions,
de ces chances passées,
Ces héros sans nul autre pareils, (Quand les uns furent si courageux,
les autres le furent tout autant ;)
Est arrivé le temps de témoigner à nouveau — de dépeindre les plus prestigieuses armées de la terre ;
De ces troupes si prestes, si merveilleuses, que vîtes-vous pour nous
le raconter ?
Quel souvenir ancré en vous-même gardez-vous de vos soudaines
paniques,
de ces tractations âprement négociées, de ces terribles états de siège ?

Ô jeunes filles et jeunes hommes que j’aime, et qui m’aimez,
Vous m’interrogez et me faites renouer avec certains souvenirs, même les plus
étranges ;
Me voici, vaillant soldat, après une longue marche, couvert de
sueur et de poussière ;
Sans plus attendre , je suis là et combats à corps perdu,
hurlant tout mon soûl, grisé ;
Voilà que se dressent mes remparts ! ...et pourtant, voyez ! Frappés par le courant diluvien d’une rivière, voyez comme ils s’évanouissent ;
Passez et ils disparaissent, s’écroulent — je ne m’attarde point sur les périls
ou les joies des soldats ;
(Ma mémoire n’a rien effacé — les nombreuses difficultés, les joies aussi parfois,
quoiqu’il en soit, je fus heureux.)

Ainsi donc, en silence, sur la toile d’où se projettent les rêves,
Au sein d’un monde où le profit, le paraître et la gaieté ont pris
toute la place,
Si vite est oublié le passé, et les vagues effacent les
empreintes sur le sable,
Triste rêverie sur la nature, genoux fléchis, je me retourne,
ouvrant les portes — (tandis que vous tout là-haut,
Qui que vous soyez, vous me suivez sans bruit, et gardez le
cœur fort.)

Muni de pansements, d’une éponge et d’eau aussi,
Je rejoins, sans tarder mes blessés sur le lieu-même
où ils ont été couchés après la bataille ;
Où leur précieux sang va rougir l’herbe et la
terre ;
Ou bien dans les rangées des tentes à l’hôpital, ou sous le toit
de l’hôpital ;
Je sillonne les rangs, dans tous les sens, plusieurs fois
parfois ;
L’un après l’autre, je m’approche d’eux — n’en
manque pas un seul ;
Un préposé m’accompagne, tenant un plateau — il porte un
seau d’ordures aussi,
Qui contiendra bien vite des tissus maculés de sang,
qu’il videra régulièrement.

J’avance, je m’arrête,
Les genoux fléchis et d’une main sûre, je panse les plaies ;
Je suis ferme avec chacun — les douleurs sont aiguës, mais
inévitables ;
L’un deux me fixe d’un regard poignant — (pauvre garçon ! Je
ne te connais pas vraiment,
Et pourtant, si ma mort pouvait te sauver,
alors je mourrais sans tarder.)

Encore et encore je continue — (ouvrez-vous, portes du temps ! que s’ouvrent les portes
des hôpitaux aussi !)

Je bande les têtes explosées, (pauvre main tremblante, n’arrache
pas les pansements ;)
J’examine le soldat de cavalerie dont une balle a transpercé
le cou de part en part ;
Il respire difficilement, pris de convulsions, et malgré le regard déjà lointain
la vie cherche à gagner le combat ;
(Ô douce mort, viens sans faiblir ! Sans peur, sans doute, arrive, Ô belle mort !
Dans la miséricorde viens vite.)

Là où le bras et la main ont été amputés,
J’enlève le tissu ensanglanté, retire la gangrène, et lave les
résidus et le sang ;
Sur l’oreiller le soldat se penche, courbe le cou,
pour faire retomber sa tête sur le côté ;
Les yeux fermés, le visage pâle, il n’a toujours pas eu le cœur à regarder
le moignon ensanglanté,

Je panse une blessure très, très profonde, sur le côté du corps ;
Dans un jour ou deux, ce corps tout émacié ne sera plus que
l’ombre de lui-même,
Et voyez comme déjà le visage a jauni et bleui.

Je panse une épaule qui a reçu une balle, je panse la plaie
du pied aussi,
J’extirpe la partie gangrenée et putride, si nauséabonde et insoutenable
et qui menace de ronger.
À mes cotés, juste derrière moi, toujours le préposé qui tient
le plateau et un seau.

Je suis fidèle au poste, je ne capitule jamais ;
Qu’il s’agisse d’une cuisse fracturée, d’un genou, d’une plaie à
l’abdomen,
D’une main calme, je panse sans relâche — (encore
en mon sein brûle un feu, une flamme.)

Ainsi donc, en silence, sur la toile d’où se projettent les rêves,
Sur la carte du passé, je me retrouve et fais chemin parmi les
hôpitaux ;

D’une main, je calme la douleur, j’apaise le blessé.
Toute la nuit, je demeure tout près des plus agités, assis à leurs côtés — certains sont si
jeunes,
Leurs souffrances si intenses — je me rappelle la douceur
et la tristesse ;
(Les bras affectueux de certains soldats enroulant mon cou,
s’y lovant,
Que de baisers reposent sur ces lèvres barbues.)

Afterword: 

Il n’est pas si évident, encore aujourd’hui et malgré les avancées de la médecine, de reconnaître que l’art de guérir dépend aussi des vertus du toucher — ce qui régit « Le Panseur de plaies », mettant en scène un soldat panseur imaginé par Whitman, poème écrit sous la forme de souvenirs d’un vieil homme durant son service pendant la guerre. « D’une main, je calme la douleur, j’apaise le blessé. », précise-t-il dans la dernière strophe, après avoir inventorié une palette d’horribles blessures qu’il avait soignées — des têtes explosées ; « Qu’il s'agisse d’une cuisse fracturée, d’un genou, d’une plaie à l’abdomen »; des fractures, la gangrène et pire. « Là où le bras et la main ont été amputés, / J’enlève le tissu ensanglanté, retire la gangrène, et lave les résidus et le sang ; » dit-il. La souffrance inimaginable dont il est témoin le conduit jusqu’à négocier avec la mort elle-même — douce, belle, miséricordieuse mort — pour délivrer de l’agonie un soldat de cavalerie pris de convulsions, et au regard déjà lointain. Sa compassion ne connaît aucune limite.

Grâce à la juxtaposition de descriptions macabres, en parlant des haillons ensanglantés jetés dans un seau à ordures, par l’évocation de l’odeur putride de la gangrène, affleure l’image du panseur de plaies qui, avec méthode, s’affaire parmi les longues rangées de lits de camp, muni « de pansements, d’une éponge et d’eau aussi, » et qui tente d’apaiser la souffrance des hommes avec « une main impassible » et un cœur dévoué. Tout comme les bénévoles des hospices connaissent les vertus du toucher et son talent de calmer l’angoisse que les patients peuvent ressentir, en particulier en fin de vie, de même le panseur de plaies s’attelle auprès des mourants, les enveloppant de sa présence, leur prenant la main, leur donnant un baiser, laissant ses sentiments personnels supplanter le devoir professionnel. Car compassion signifie souffrir avec, et il le fait, encore et encore.

Les soins qu’il prodigue sont teintés de religiosité : l'apposition des mains. Il se décrit comme étant fidèle à la souffrance et à sa vocation ; lorsqu’il soigne au flanc la blessure d’un soldat, cette image n’est pas sans rappeler le garde prétorien qui perça de sa lance le flanc du Christ pour hâter Sa mort sur la Croix ; et quand il s’exclame: « Encore et encore je continue — (ouvrez-vous, portes du temps ! que s’ouvrent les portes

des hôpitaux aussi !) », on entend un écho de la prédication de Jésus à ses disciples : « Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira. » Sa pratique de la bonté affectueuse — traduction inspirée par Myles Coverdale du terme hébreu pour une vertu religieuse quintessentielle souvent invoquée dans les Psaumes — se mêle à l’érotique, nous rappelant le lien ancien entre la sexualité et le Divin. Que ses supplications et révélations les plus urgentes se produisent dans les apartés entre parenthèses indique la dichotomie entre ses obligations professionnelles et ses sentiments personnels — une dichotomie qui à chaque moment menace de se dissoudre en amour. Et c’est cet amour dont il se souvient maintenant.

—CM

Question: 

En créant un personnage fictif, Whitman se présente tout autant soldat et panseur de plaies – lequel du soldat ou du panseur de plaies vous paraît le plus crédible, et pourquoi ? Déterminez tous les aspects qui participent à la crédibilité, que ce soit pour l’un ou pour l’autre et ceux qui n’y contribuent pas. Et ensuite, comparez.

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