Semaine 36, Whitman and the Civil War

Lithographie de l’Hôpital Armory Square (Avec l’aimable autorisation de la National Library of Medicine)
Lithographie de l’Hôpital Armory Square (Avec l’aimable autorisation de la National Library of Medicine)
Foreword: 

Lorsque Whitman retravailla Mémorandums durant la guerre afin de l’insérer dans son travail autobiographique, plus long, appeléExtraits de Notes, l’un des changements les plus importants qu’il fit, fut de transformer une majeure partie de l’introduction de Mémorandums en conclusion de Extraits de Notes. Whitman savait ce qu’exprima T.S. Eliot, de nombreuses années plus tard, dans son poème « Little Gidding » : « Ce que nous appelons le début est souvent la fin / Et faire une fin, c'est faire un début. / La fin est là où nous avons commencé ». Whitman commença probablement son livre sur la guerre de Sécession à la fin de la guerre, ce qui, pour lui, fut le point de départ de l’écriture d’un livre à propos de la guerre. Mais il savait, alors qu’il commençait, qu’il n’y aurait pas de fin, parce que, ainsi que l’expriment ses dires célèbres dans la conclusion du paragraphe de la Guerre de Sécession d’Extraits de Notes, « La Véritable Guerre ne se retrouvera jamais dans les livres ». Whitman savait déjà, qu’à propos de cette guerre, on n’en finirait pas d’écrire (il n'aurait probablement pas été surpris de constater que la Bibliothèque du Congrès estime à environ 75.000 livres le nombre de livres écrits sur la guerre de Sécession, parus jusqu’à maintenant, et toujours d’autres encore à venir), et il était certain qu’aucun de ces livres (y compris le sien) ne saisirait « la véritable guerre ». La guerre — et ses raisons, ses batailles, ses stratégies, ses horreurs, ses statistiques — serait mise en scène et remise en scène, revue et repensée, argumentée et toujours débattue, écrite et réécrite. Chaque nouveau livre est une nouvelle façon de raconter cette guerre et ainsi de suite. (Et, alors que nous portons notre regard sur cette nation encore divisée, nous pouvons nous demander si, en fait, la guerre de Sécession n'est toujours pas terminée, ou si elle n’a tout simplement pas recommencé, encore et encore et sous diverses formes.)

Whitman ne peut seulement que faire allusion à ce qu’il entend par la « véritable guerre » : il parle de son « histoire intime », la façon dont elle a été vécue par « le véritable Soldat de 1862-1865, du Nord et du Sud, avec tous ses moyens, son extraordinaire vaillance, ses habitudes, ses pratiques, ses goûts, sa langue, son appétit, son rang, sa force superbe et son animalité, sa démarche insolente, et une centaine d’ombres et de lumières du camp, privées de nom. » Et ce qu’il espère que son livre puisse réussir est de « proposer quelques aperçus isolés de cette vie, les aperçus de ces tristes intimités de l’époque » alors même qu’il sait que les expériences de ces vies perdues ne seront « jamais... fidèlement transmises dans l’avenir. » L’histoire de la guerre qu’il connaît le mieux — ces centaines de milliers de malades, de blessés, et de soldats agonisants dans les hôpitaux de la capitale de la nation — est celle, croit-il, qui sera la moins relatée dans les livres : « l’essence même de la tragédie concentrée dans ces Hôpitaux — (il semblait parfois que le propos du pays, du Nord et du Sud, fut un immense hôpital central, et tout le reste, du détail). Le mieux de ce qui pourra « être raconté(s) ou écrit(s) » nous dit Whitman, seront « les quelques bribes et faux échos ». Whitman écrit : « Pensez à l’importance que cela aura, ô combien ! — comme le civique et le militaire ont déjà été, ô combien, enfouis dans la tombe, dans une éternelle obscurité ! Comme ces centaines de milliers de tombes de soldats — qui tous sont maintenant « inconnus » parce qu’ils sont morts bien trop jeunes pour avoir construit une quelconque identité accomplie que nous aurions pu commencer à connaître — les histoires intenses et vécues de la guerre se retrouvent, elles aussi, maintenant, dans leurs propres tombes anonymes et ne seront jamais mises en lumière.

Dans un paragraphe précédent de Memorandums, Whitman réfléchit aux blessures et aux maladies qu’il avait vues dans les hôpitaux pendant et immédiatement après la guerre : « Ce sont les bras et les jambes qui furent le plus blessés. Mais il existe toutes sortes de plaies, pour chaque partie du corps. Je devrais parler des malades, faire part de mes observations, dire que les maladies les plus répandues sont la fièvre typhoïde et les fièvres de camp en général, la diarrhée, les affections catarrhales et la bronchite, les rhumatismes et la pneumonie. Ces sortes de maladies se déclarent en premier ; toutes les autres en découlent. Il y a deux fois plus de malades que de blessés. » Ceci, pour Whitman, fut la clé : la guerre fut vécue dans le corps, sur le corps, et par le corps. Whitman le ressentit à son tour dans chaque fibre de sa chair ; nous l’avons vu, au cours des dernières semaines, comme cette expérience l’avait affecté de manière intense, quelle répercussion physique, cela eut sur lui. En 1891, Whitman allait ajouter une dernière « note finale » pour Feuilles d’herbe, dans laquelle il retrace ses « dernières années paralysées, et dépouillées de tout, cloîtré » à ses expériences de la guerre de Sécession : « l’issue indubitable et l’augmentation. . . de trop d’excitation, d’excès de zèle, de sollicitation et d’activité physiques et émotionnelles continues durant les années de 1862, '3,' 4 et '5, rendant visite et étant au service des volontaires de l’armée, blessés et malades, des deux côtés. Ces « sollicitation et activité physiques et émotionnelles » et la tension, la pression est ce qui « ne se retrouvera jamais dans les livres », parce que ce qui est absent de toute écriture est ce que le corps lui-même a vécu et que les mots ne peuvent que suggérer, de façon tacite. « Est-ce que l’Amérique de demain — est-ce que cette vaste et riche Union réalisera ce que cela lui a coûté, là-bas, en définitive ? »

Tout cela, bien-sûr, est la raison pour laquelle Whitman écrivit à propos de la guerre, pour offrir quelques fragments susceptibles de rendre compte du coût, et physique et émotionnel, de ces années de fratricide. Même si ses propres livres n’ont pas réussi à saisir la « véritable guerre », il a, quoiqu’il en soit, créé une nouvelle manière de représenter la guerre — ce qui eut un effet majeur sur les récits de la guerre de Sécession au cours des dernières décennies — lorsqu’il décida de mettre en lumière les conséquences finales de ces combats et les blessés dans les hôpitaux plutôt que les champs de bataille ; et les troupes dont les corps sont présents sur les champs et souvent dans les champs, plutôt que les généraux qui conçurent les stratégies de guerre. Tout comme dans sa poésie d’avant-guerre, Whitman anéantit les hiérarchies et nous permit de voir les choses de façon démocratique, et c’est ainsi encore que, dans ses écrits de guerre, il a cassé les codes traditionnels de narrer la guerre, pour que nous vivions, avec douleur, les épreuves, l’héroïsme, l’horreur et le courage des soldats ordinaires de toute la nation divisée, dont il s’était occupé et qu’il aimait et dont il se souvenait. Ces soldats souvent oubliés, soldats que la maladie, les blessures, la mort ont retirés des champs de bataille, sont mis en lumière dans les livres de Whitman alors qu’il observe la guerre dans les hôpitaux. Ceux qui souvent ne se retrouvent pas dans les livres — avec le désordre et le carnage qu’ils portent en eux — trouvent leur place grâce à Whitman et constituent le cœur même de ses récits de la guerre de Sécession.

—EF

« La Véritable Guerre ne se retrouvera jamais dans les livres »

Pendant la guerre de l’Union, vers la fin de 1862, j’entrepris de rendre visite, et continuai de façon régulière durant les années '63, '64 et '65, à rendre visite aux malades et aux blessés de l’Armée, à la fois sur le terrain de bataille et dans les hôpitaux de Washington et de ses environs. Dès le début, je me munissais de petits cahiers pour prendre des notes au débotté et garder précisément, en ma mémoire, les noms et les circonstances, et ce qui était spécialement réclamé, etc. Dans ces notes, je mentionnais les cas, les personnes, les activités, les événements au camp, à leurs chevets, régulièrement à côté des cadavres. Dans le présent volume, la plupart des pages sont des verbatims rendant compte des notes prises sur place. J’en ai griffonné certaines qui faisaient partie des récits que j’ai pu entendre et intercepter au cours des scènes où je regardais ou attendais ou dispensais des soins à autrui. Je dois avoir gardé peut-être quarante de ces petits cahiers qui constituaient une histoire particulière de ces années là, pour moi tout spécialement, remplis de rapprochements qui ne pourront jamais être dits ou chantés. J’aimerais pouvoir transmettre au lecteur les associations qui s’attachent à ces petits extraits souillés et froissés, composés chacun d’une feuille ou deux de papier, pliés serrés pour tenir dans la poche, et accrochés à l’aide d’une épingle. Je les garde tels que je les avais compilés durant la guerre, souillés ici et là par plus d’une tache de sang, écrits à la hâte, parfois à la clinique, régulièrement durant l’excitation d’un moment de doute, ou de défaite, ou d’action, ou de préparation de cette action, ou durant une marche. Encore de nos jours, alors que plusieurs années se sont déjà écoulées, je ne peux toujours pas tourner ces minuscules feuilles, ou même en prendre une dans la main, sans que les images des armées elles- mêmes, sans que les brûlantes émotions de l’époque ne m’envahissent telle une rivière coulant à grands flots. Chaque vers, chaque gribouillis, chaque mémento, a son histoire. Des pics d’angoisse — des tragédies, plus intenses qu’aucun poète n’a encore jamais pu écrire. D’elles émergent des formes qui prennent vie et respirent. Elles convoquent, même au sein de cette pièce silencieuse et vide où j’écris, non seulement les vigoureux régiments et les brigades, marchant dans les camps, mais aussi les innombrables fantômes de ceux qui tombèrent et qui furent enterrés à la hâte, en vrac, dans la fosse des batailles, ou dont les cendres et les os ont été, depuis, transportés jusqu’aux cimetières nationaux du pays, tout particulièrement en Virginie et au Tennessee. (Et pas seulement les soldats du Nord — beaucoup aussi de Caroline, de Géorgie, d’Alabama, de Louisiane, de Virginie — parmi eux, maints visages et formes du Sud, pâles, amaigris, avec cet étrange lien de confiance et d’amour qui s'est créé entre nous, soudés par la maladie, par la souffrance des blessures, les petits soins infirmiers prodigués, journaliers et nocturnes, les visites faites de paroles amicales, arrivent pendant le repos, et ne dérangent pas, mais complètent et apportent une touche finale à la méditation). Presque réels, ils rappellent et donnent corps aux longues salles de garde des hôpitaux et leurs myriades de scènes différentes de jour comme de nuit — les incidents graphiques de champ ou de camp — la nuit précédant la bataille, avec encore ses nombreux préparatifs sérieux et recueillis — les exaltations et les dépressions changeantes de ces quatre années, au Nord comme au Sud — les souvenirs convulsifs, (un seul mot laissé, une phrase escamotée, suffisent à les rappeler) — les traces déjà presque disparues, comme un rêve d’antan, et pourtant cette liste assez importante pour les soldats — les feuillets de papier griffonnés et usés qui ont été apportés par boisseaux des prisons du Sud, de Salisbury ou d’Andersonville, par les mains des prisonniers échangés — le bruit des béquilles qui frappent les trottoirs ou les sols de Washington, ou montant et descendant les escaliers des bureaux des Caissiers — la Grande Revue des anciens combattants prêts à rentrer chez eux à la fin de la guerre, marchant gaiement jour après jour devant la maison du Président, une brigade faisant suite à une autre qui paraissait ne jamais devoir finir — les étranges escadrons de déserteurs du Sud, (les évadés, comme je les appelais ;) — ce petit genre de groupe résolu au milieu du puissant tourbillon, je me souviens, tandis que je me trouvais dans un coin de l’hôpital, d’un garçon irlandais à l’agonie, un prêtre catholique, et d’un autel de fortune — Quatre ans qui écrasent des siècles de passion de la mère Nation, des images de tout premier ordre, des tempêtes de vie et de mort — une mine inépuisable pour les Grands Récits, les Drames, les Romances et même la Philosophie, pour les siècles à venir — en effet la Vertèbre de la Poésie et de l’Art, (du caractère personnel aussi) pour toute la future Amérique, (bien plus grandiose, à mon avis, pour les mains capables de l’écrire, que le siège de Troie de Homère, ou les guerres françaises de religion pour Shakespeare ;) — et en faisant le tour de tout, de tous mes souvenirs, la stature imposante du président Lincoln, avec son visage aux rides profondes et entrecoupées, ses yeux larges, son regard bon, futé, sa peau d’un brun foncé, et une touche de mélancolie étrange parachevant le tout.

De plus en plus, dans mes souvenirs de cette époque, et à travers ses océans changeants, innombrables et ses sombres tourbillons, apparaissent la résolution et la rudesse principales de la majeure partie du Peuple Américain moyen, animé en son Âme par un but précis, aussi inévitable et fluide qu’un orage ravageur — Les Gens Ordinaires qui, par milliers, gagnent des galons et dont l’héroïsme de tout premier ordre grandit (aucun régiment, ni compagnie, ni même une rangée d’hommes, du Nord ou du Sud, les trois dernières années, sans ces spécimens de premier ordre).

Je ne sais pas ce qu’il en a été, ou ce qu’il en est pour les autres — pour moi, l’intérêt principal de la Guerre réside (et ce, encore toujours quand j’y pense) dans ces spécimens et dans les cas rencontrés dans les ambulances, dans les hôpitaux, et aussi parmi les morts sur le terrain de bataille. Pour moi, ce sont les moments qui illustrent le Caractère Particulier et inconnu et les capacités de Ces États, avec leurs deux ou trois millions d’Américains, jeunes et d’un âge moyen aussi, du Nord et du Sud, enrôlés dans les armées — et surtout le tiers ou le quart d’entre eux, blessés ou frappés par la maladie à un moment donné au cours de leurs exercices — eux, étaient plus importants que les intérêts Politiques impliqués. (Car une race s'exprime, pour l’essentiel, de ce qu’elle pense de la mort, et de comment elle résiste à l’angoisse personnelle et à la maladie. De même, dans les lueurs d’émotion contenues lors des situations d’urgence, et dans les traits de caractères et apartés dans Plutarque, etc, nous retirons là des explications bien plus profondes du monde antique que celles que propose son histoire plus classique.)

Les années à venir ne connaîtront jamais l’enfer tumultueux et l’infernal et noir arrière-plan des innombrables situations mineures et intimes, (non pas les quelques grandes batailles) de la guerre de Sécession ; et il est préférable qu’elles ne connaissent pas cela. À cause de la tendance actuelle, de sa mollesse, l’atmosphère ardente et les événements spécifiques de ces années là risquent également d’être totalement oubliés, ignorés. J’ai veillé, pendant la nuit, auprès d’un homme malade, à l’hôpital, un homme qui n’avait plus beaucoup d’heures à vivre. J’ai vu, dans ses yeux, un éclair, une étincelle alors qu'il se redressait, et revivait les cruautés faites à son frère, qui s’était rendu, et les mutilations de son cadavre, subies après. (Voir, dans les pages qui précèdent, l’incident survenu à Upperville — les dix-sept morts comme dans la description, furent abandonnés là, sur le sol. Après qu’ils tombèrent, morts, personne ne les toucha — tous furent comptés cependant. Les carcasses furent laissées pour que les citoyens les enterrent ou pas, selon leurs choix.)

Ainsi fut la guerre. Loin d’être un quadrille sur le parquet d’une salle de bal. Non seulement son histoire intime ne sera jamais écrite, mais l’exercice de la guerre, la précision méticuleuse des actions et des passions, ne seront jamais relatés. Le véritable soldat de 1862-1865, du Nord et du Sud, avec tous ses moyens, son extraordinaire vaillance, ses habitudes, ses pratiques, ses goûts, sa langue, son appétit, son rang, sa force superbe et son animalité, sa démarche insolente, et une centaine d’ombres et de lumières sans noms du camp, dis-je, ne sera jamais relaté — peut-être d’ailleurs ne doit-on pas et ne devrait-on pas le faire.

Les présentes notes (Mémorandums) peuvent aider à proposer quelques aperçus isolés de cette vie, les aperçus de ces tristes intimités de cette époque qui ne seront jamais fidèlement transmises dans l’avenir. À cet effet, le moment du drame de l’hôpital de '61 à '65 mérite en effet d’être retenu — (Je ne fais que le suggérer). De ce drame et de ses conséquences multiples, avec ses surprises inattendues et étranges, ses prédictions déconcertantes, ses moments de désespoir, la crainte de l’ingérence étrangère, les campagnes interminables, les batailles sanglantes, les armées puissantes, encombrantes, vertes, le service militaire obligatoire et les primes. — la dépense d'argent, faramineuse telle une pluie torrentielle dense et ininterrompue — sur tout le pays, durant les trois dernières années des combats, une complainte, une lamentation universelle, sans fin, des femmes en deuil, des parents, des orphelins — l’essence même de la tragédie concentrée dans ces Hôpitaux — (il semblait parfois que le propos du pays, du Nord et du Sud, fut un immense hôpital central, et tout le reste, du détail) — ces Hôpitaux qui constituent l’Histoire Non Dite et Non Écrite de la Guerre — in-finiment plus grande (comme peut l’être la Vie) que les quelques bribes et faux échos qui ont pu être racontés ou écrits. Pensez à l’importance que cela aura, ô combien ! — comme le civique et le militaire ont déjà été, ô combien, enfouis dans la tombe, dans une éternelle obscurité !..... Mais pas dans mes notes (mes Mémoranda).

Afterword: 

S’il est vrai que « la véritable guerre ne se retrouvera jamais dans les livres », comme Whitman l’observe dans Extraits de Notes, une question s’impose : que retrouve-t-on dans la poésie, les romans, les essais, les réminiscences, les récits, les journaux, et les autres ouvrages sur la guerre, à l’époque et à travers les générations qui ont suivi ? La Bibliothèque du Congrès estime qu’environ 75.000 livres ont été publiés sur la guerre de Sécession — plus d’un par jour depuis Appomattox — et si vous ajoutez les films, les émissions de télévision et les jeux vidéo, sans parler des chansons, des symphonies et des opéras, il devient clair qu’il y a et qu’il y aura toujours beaucoup d’ouvrages sur cet événement déterminant de l’histoire américaine, chaque œuvre décrivant une chose essentielle ou annexe, vraie ou fausse, à propos de cette guerre. Mais la véritable guerre, où peut-on la retrouver, si ce n’est dans les livres et les films, et la musique ?

Il y a quelques années, à Nairobi, lors d’une réunion d’écrivains et de savants qui débattaient à propos d’une nouvelle université pour l’Agha Khan, un romancier suggéra que, en plus de rassembler des livres, des journaux, des articles, des films, des enregistrements sonores, et des archives numériques, la bibliothèque rassemblerait et cataloguerait des odeurs du monde entier, naturels et créés par l’homme — des roses, des fumées de pots d’échappement de voitures, la résine des pins, de la fumée et de la sueur, du nectar et les produits pour polir l’argent, la puissante odeur de la mer, le goût des oignons sautés, l’odeur pestilentielle de la mort : une galerie de parfums, classés du fétide au sublime, à la disposition des parfumeurs, des pathologistes, et de tous ceux qui cherchent à identifier un arôme particulier. L’idée n’est jamais allée plus loin que la planche à dessin, ce qui confirme la sagesse de la déclaration de Robert Hass : « Il y a des limites à l’imagination ». Mais peut-être le romancier travaillera-t-il cette idée dans un livre, inspirant un bibliothécaire entreprenant à créer une galerie olfactive. En attendant, cela peut aider à expliquer pourquoi le nombre des cadavres en décomposition dans la terre a convaincu Whitman que la véritable guerre se situerait à jamais au-delà de toute forme artistique. Comment rendre compte de l’odeur de l’herbe mêlée à la gangrene ?

Les méditations de Geoffrey Hill sur le problème du mal contiennent ces vers mémorables : « L’art est irréfutable dans ses revendications, / Il se console tandis que les enfants se recroquevillent dans les flammes./ Je ne pourrais pas dire comment en moi le traumatisme résonne ». Whitman fut choqué par la quantité de sang versé durant la guerre de Sécession ; l’ampleur des pertes, personnelles et collectives, eut raison de sa santé et ses esprits. Mais ce qu’il a répertorié dans ses écrits est la preuve que le carnage au cœur de l’histoire américaine continue à façonner les sensibilités d’un peuple qui subit chaque jour de nouveaux chocs lors de cette aventure qu’est la liberté.

—CM

Question: 

William Faulkner a écrit « Le passé ne meurt jamais. En réalité, il n'est jamais passé. » C’est une autre manière d'interpréter l’idée d’Eliot qui dit « La fin est là où nous avons commencé » et celle de Whitman qui dit « La Véritable Guerre ne se retrouvera jamais dans les livres. » Ces trois déclarations font le constat que nous ne pourrons jamais rendre compte du corps du passé, de l’expérience physique des morts qui l’ont vécu au plus près, par chaque fibre de leur chair. Mais nous devrions aussi toujours vouloir pouvoir retrouver ce passé, y réfléchir, imaginer, et et retransmettre par l’écriture, grâce à notre imagination, ce que ces corps ont pu ressentir. Souvent, notre propre passé se ressent de cette façon, aussi — nous nous souvenons des sensations de douleur, d’horreur ou de terreur, mais il est difficile de « le retrouver dans les livres », de l’écrire afin que d’autres puissent éprouver, dans leurs chairs ce que nous avons ressenti dans la nôtre (ou afin que nous puissions à nouveau ressentir ce que nous savons de ce que nous avons ressenti alors). Les écrivains ressentent souvent et de façon plus vive cette notion que « le passé ne meurt jamais » et que, toujours, nous partons de la fin. Essayez d’écrire à propos d’un événement passé que vous avez, intensément et profondément et physiquement, ressenti, et décrivez le en mettant l’accent sur ce que le corps a ressenti. Par quels mots les plus fidèles à ce passé saurez-vous le faire revivre ?

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