Semaine 6, Whitman and the Civil War

Trois jeunes joueurs de tambours présents durant les 9 combats de la Rébellion (photo E. & HT Anthony)
Trois jeunes joueurs de tambours présents durant les 9 combats de la Rébellion (photo E. & HT Anthony)
Foreword: 

Au début et à la fin de la guerre de Sécession, Whitman trouva son épanouissement dans la versification traditionnelle. Avant les Feuilles d’herbe, il écrivit ses premiers poèmes en respectant les formes classiques pour la rime et la versification, ce qui lui permit, à tout moment, d’aller et venir du vers libre à une forme traditionnelle. Dans « Roulez, roulez, tambours ! », il a recours au mètre spondaïque et anapestique soutenu, ce qui lui permet de mettre en place un rythme martial qui bat au sein des trois strophes de sept lignes chacune. Beaucoup de lecteurs furent séduits par ce poème, et ce, au fil des ans — Ivan Tugenev le traduisit aussi en russe dans les années 1870, et veilla à ce que ce rythme fut maintenu. Il fut l’un des poèmes de Whitman le plus réimprimé — alors même que la guerre éclatait — on pouvait le lire dans les journaux de New York jusqu’à San Francisco, sans oublier le très couru Harper’s Weekly en septembre 1861.

Au même titre que « Roulement de tambours », ce poème peut être perçu tel un écrit de propagande, un texte exhortant le peuple à prendre les armes. Le propre frère de Whitman, George, bénévole du début de la formation de l’armée de l’Union, venait d’être recruté quand Whitman commença à écrire « Roulez, roulez, tambours ! ». Whitman avait emmené une ébauche du poème à la taverne Pfaff à Manhattan, où il avait coutume de traîner en compagnie de ses amis de bohème, et le lut à haute voix. Un ami du Sud se sentit insulté, s’en suivit une bagarre entre le poète et lui jusqu'à ce que de braves amis les séparent. Après la première bataille de Bull Run, les nerfs étaient à vif suite à l’humiliation qu’infligea l’Union et Whitman était déterminé à les rallier à la cause de l’Union.

Comme le premier poème (et le recueil « Roulement de tambours », dans son ensemble), celui-ci s’appuie sur le tambour militaire qui scande les pas de la marche à la guerre, mais nous n’oublions pas les autres « Roulements » de ces tambours, les trois battements forts pour signifier l’extinction des lumières à la fin de la journée dans les camps de soldats. Ce fut pendant la guerre de Sécession qu’on jouait les « Roulements » lors des funérailles, à la fois pour l’Union et pour les troupes confédérées — l’extinction ultime de la lumière — souvent avec l’accompagnement familier du clairon. Ainsi, le premier vers de chacune des trois strophes de ce poème — « Roulez, roulez, tambours ! » — « Sonnez ! Clairons ! Sonnez ! » — offre trois temps forts et une syllabe faible — une seule note d’hésitation peut-être dans la poussée implacable à la guerre. Si les tambours et les clairons invitent à la bataille, le son des « Roulements » conduit les soldats tués vers leurs tombes.

Le poème offre une image terrifiante des tambours et clairons incitant à la guerre induisant et détruisant « à travers les fenêtres — à travers les portes » de la ville avec une « force impitoyable », anéantissant les civils en dispersant les congrégations et les classes, éliminant les travailleurs des champs agricoles, enlevant le jeune marié à son épouse, et réprimant farouchement tout signe de résistance. Whitman paraît vider les inventaires de la ville et de la campagne dont le célèbre « Chant de moi-même » rendait compte : ici l’infinie variété des activités de la ville — « l’Amérique qui chante », comme il l’appelait dans un autre poème, est engloutie sous le son des tambours et des clairons qui réduisent la vie à une note, un but, sans relâche, — soumettant les avocats, les étudiants , les courtiers, les agriculteurs et les chanteurs au même uniforme et au même nouvel impératif. Si la guerre a pour dessein, sous un certain angle, de protéger une certaine vie glorieuse et riche, alors ce que cette guerre tente de préserver doit être suspendu.

La troisième et dernière strophe donne la parole aux réfractaires de cette enivrante musique martiale — la mère, les enfants, les « timides », les vieillards, même les morts (qui, s’ils le pouvaient, auraient averti les jeunes hommes de ne pas se précipiter si rapidement vers ces champs de bataille attirants). « Make no parley (Ne prenez pas la peine de débattre) », crie la voix du poème : « to parley » (du français « parler ») signifie généralement de parlementer avec l'ennemi et trouver un accord, mais ici le poète enjoint ses auditeurs à ne pas parler à qui s'opposerait à la soif du sang , sous peine de devenir à leur tour l'ennemi en essayant d'arrêter cette terrifiante et irrépressible marche vers la guerre.

—EF

« Roulez, roulez, tambours ! »

1

ROULEZ, roulez, tambours ! — Sonnez ! Clairons ! Sonnez !
À travers les fenêtres — à travers les portes — tonnez et témoignez
de la force impitoyable des hommes,
Entrez dans l’église solennelle, et dispersez la congrégation ;
Dans l’école où le lettré étudie :
Ne laissez pas le jeune marié tranquille — aujourd’hui, lui et son épouse
n’ont plus droit au bonheur ;
Même châtiment pour l’agriculteur paisible qui moissonne son champ
pour en récolter le blé ;
Vous rugissez avec fureur, tambours — et résonnez si sèchement,
et vous, clairons, percez nos tympans.

2

Roulez, roulez, tambours ! — Sonnez ! Clairons ! Sonnez !
Par delà la circulation des villes — par delà le grondement des roues
dans les rues :
Les lits sont-ils faits pour accueillir les dormeurs, la nuit dans les foyers ?
Ces lits doivent impérativement rester vides ;
La journée ne verra aucune bonne affaire se négocier — pas de courtiers ni de
spéculateurs — Oseraient-ils vivre comme d’habitude ?
Les causeurs continueraient-ils de parler ? Le chanteur essaierait-il
de chanter ?
L’avocat se lèverait-il à la cour pour plaider
face au juge ?
Ainsi donc, vibrez plus intensément, vous tambours — et vous, clairons, résonnez
plus fort !

3

Roulez, roulez, tambours ! — Sonnez ! Clairons ! Sonnez !
Ne prenez pas la peine de débattre — le temps n’est pas à la remontrance ;
Ignorez les timides — Faites fi de l’homme qui crie ou prie ;
Négligez le vieil homme suppliant le jeune homme ;
Soyez sourds à l’enfant qui réclame, et à sa mère qui
implore ;
Attendant l’arrivée du corbillard, que les morts posés sur les tréteaux
soient agités,
Ô tambours, comme vos battements sont terribles — et vous clairons,
vous soufflez si haut vos notes.

Afterword: 

« Voici une chose sur laquelle nous pouvons tous compter », écrivit Charles Simic dans un essai sur les guerres de succession de l’ex-Yougoslavie. « Tôt ou tard, notre tribu vient toujours nous demander de consentir à assassiner. » Alarmé par la volonté des intellectuels dans ses républiques constitutives d’épouser différentes causes nationalistes, il a comparé la destruction de son pays à « regarder un homme se mutiler en public. » Il est probable que bon nombre d'américains doutaient tout autant en pensant à la scission de leur pays. Il est intéressant de noter que, pendant la guerre de Sécession, la Yougoslavie avait environ la même population que les Etats-Unis qui comptèrent quatre fois plus de victimes. Les grands poètes peuvent être des nationalistes farouches, comme Whitman le prouve, mais pour Simic le vrai poète n’appartient à aucune tribu. « La seule fonction du poète épique », soutient-il, « est de trouver des excuses à l’abattage des innocents. » À l’encontre de l’épopée, il propose un oratorio « à une voix », un mode lyrique, qui élève les exigences de la conscience individuelle au-dessus des désirs de la tribu — une distinction qu’il est utile de garder à l'esprit en lisant l’appel du clairon de Whitman en 1861.

Le rythme martial du premier vers de chacune des trois sections — « Roulez, roulez, tambours ! — Sonnez ! Clairons ! Sonnez ! » — peut surprendre les lecteurs habitués aux versets de Whitman qui, souvent, errent le long de la page de façon mesurée, même prosaïque, rassemblant des émotions, des images et des impressions dans une vision de l’ensemble plus large. Mais six syllabes accentuées sur sept composent une musique différente — la stridence et la férocité envahissant l’église solennelle, l’étude de l’érudit, la chambre des époux, et la récolte, et diffusant la banalité au vent. Il n’y a pas de temps pour le bonheur quand on est en guerre.

Dans la deuxième section, Whitman remet en question les routines de la vie quotidienne, exigeant que tambours et clairons sonnent dans toute la ville, rendant le sommeil impossible. Car la vigilance est la priorité de ce nouvel ordre. Et les personnes qui osent continuer comme avant — en négociant et en spéculant, en parlant et en chantant, et en plaidant devant un juge — seront étouffées, l’incertitude cédant la place à la logique inexorable de la guerre. Les voix qui s’élèvent dans la dernière section — les timides et les vieux, la mère et l’enfant — ne sont rien par rapport aux clairons sauvages et aux terribles tambours, qui non seulement appelleront les troupes aux armes, à marcher et à se battre, à se lever à l’aube et à éteindre leurs lumières au crépuscule, mais aussi serviront de musique à leurs funérailles, une si triste musique.

—CM

Question: 

Dans ce poème, Whitman se distingue en ayant recours à la rime et à la versification, alors que la majeure partie de son œuvre, mieux connue, s’attache aux vers libres. Il allait revenir à des formes plus classiques durant les crises historiques et culturelles (comme il le fit quand Lincoln fut assassiné, avec « Ô capitaine ! Mon capitaine ! »). Quels effets provoquent la régularité rythmique et l’uniformité contenues dans « Roulez, roulez, tambours ! » ? Si la seconde moitié du XIXème siècle est l’ère qui permet aux poètes d’abandonner le classicisme de l'écriture poétique pour s'essayer à des formes expérimentales, pourquoi certains innovateurs radicaux (comme Whitman) retournent-ils à de telles formes dès que certains événements perturbent l’histoire ?

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