Semaine 27, Whitman and the Civil War

La page de titre des Roulements de tambours de Walt Whitman.
La page de titre des Roulements de tambours de Walt Whitman.
Foreword: 

Après l’impression de « Roulements de tambours » et, juste après l'assassinat d’Abraham Lincoln, Whitman sut immédiatement qu’il lui faudrait retravailler son livre, y ajouter des passages pour développer plus en profondeur l’impact de la mort, de la perte du président. Durant l’été 1865, il travailla à l’écriture de ce qui devint son poème le plus connu « Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! », dans lequel il imagine un marin face à la perte de son « capitaine », le commandant en chef du navire de l’Etat, « tombé froid et mort » sur « le pont ». Mais le poème qu’il affectionna le plus fut « Quand la dernière fois les lilas fleurirent dans le jardin ». Il publia les deux poèmes ensemble ainsi qu’un bouquet d’autres encore dans un supplément spécial ou une « suite » à Roulements de tambours, qu’il plaça au dos des copies de Roulements de tambours qu’il avait conservées et qui faisaient parties du lot censé être publié en avril 1865. Il publia le nouveau livre en octobre et intitula la suite Quand la dernière fois les lilas fleurirent dans le jardin et autres fragments, utilisant un type de police conçu spécialement et dans lequel les mêmes lettres du titre sont créées à partir de bâtons brisés et fragmentés, dont le visuel nous renseigne sur le contenu du poème lui-même — sa création à partir de passages éclatés. Fragments — le constat de la fragmentation en masse, des amputations, des morts au-delà de toute récupération possible — furent tout ce que les peuples d’Amérique avaient laissé et l’espoir, s’il en exista un, fut que quelqu’un commencerait à composer quelque chose, à faire quelque chose de ces fragments, de ce qui fut autrefois un tout unifié, une Union. « Lilas » est un poème à propos de la perte et de la mort et qui parle de l’état du monde, monde qui pourrait stagner. Lincoln fut assassiné en avril. Whitman qui, à ce moment là, vivait à Washington, DC, était alors en visite chez sa mère à New York, et il apprit les nouvelles grâce à un vendeur de journaux de rue. Se levant et sortant dans le jardin de sa mère, il se tenait debout, là où les lilas avaient, cette année, fleuri si tôt, et, dans l’intime du ressenti de cette peine, de ce choc, une synchronicité physique se produisit : l’atroce annonce de la mort de Lincoln fusionna, à ce moment précis avec le parfum des lilas, une odeur qui, jusqu’à présent, suscitait chez le poète une sensation de renouveau, d’espoir, et qui maintenant, par cette fusion synesthésique et troublante, rendraient les lilas à jamais indissociables de la mort, du sentiment de perte.

Cependant, on peut remarquer que le poème démarre par une note d’espoir étouffée en son élocution — le son « -ing » rime dans les terminaisons des participes présents, indiquant le désir d’aller de l’avant: spring / returning / bring / blooming / drooping. Ce qui ne rime pas, ni ne sonne avec le « -ing » répété, c’est « thought of him I love ( mes pensées vers celui que j’aime) » qu’on trouve dès les premiers vers du poème — parce que maintenant, le « printemps et son éternel retour » au lieu d’offrir la fraîcheur et le renouveau, amène et la mémoire et le désir, et les « pensées vers celui que j’aime » et celui qui n’est plus. Comment le printemps pourrait toujours être le messager prometteur d’un tout nouveau départ, quand sa renaissance annuelle est désormais entachée par ce qui a pris le pas, à savoir la pensée qui vole vers celui qui n’est plus et qui fut aimé, mais encore la pensée qui n’oublie pas les centaines de milliers de morts qui combattirent pour et contre l’Union et que Lincoln défendit ? Le poème, petit à petit, va se frayer un chemin pour essayer de rétablir le sens progressif et continu des participes qui démarrent le poème, comme la première action du poète qui est de « break (casser) » le « sprig (bout de branche) » de lilas pour le déposer sur le cercueil de Lincoln quand il passera. Si le fait de casser cette branche, c’est aussi prendre la vie des fleurs de ce lilas du printemps, c’est aussi l’occasion pour nous de remarquer que le mot « sprig (brin) » est lui-même un « spring (printemps) » amputé — un printemps qui, amputé du « n » est maintenant privé de vie, privé du sens de ce qui se perpétue, du sens de l’avenir / de ce qui fait aller de l’avant que propose la forme « -ing » des participes présents (qui sont eux-mêmes des mots qui contiennent l’action, attendant la conjugaison qui portera l’action en devenir). Le poème se bat et contient aussi ses contradictions, à savoir : est-ce ce printemps là qui va arrêter la ronde des printemps, qui va occire tout éventuel renouveau (une branche cassée), ou sera-t-il « l’éternel retour du printemps » par la seule force de son cycle, et faisant éventuellement renaître l’espoir?

« Lilas » peut nous faire penser à un autre poème américain connu, écrit soixante ans plus tard, et aussi à la suite d’une guerre sanglante et redoutable qui mit à l’épreuve la volonté du poète à continuer à écrire de la poésie. Au moment où T.S. Eliot publia La Terre vaine, dans les années 1920, il avait travaillé dur pour se démarquer de Whitman, qualifiant sa poésie d’ « inepties » et trouvant que Whitman était lui-même une « créature pathétique ». Et pourtant, Eliot fit une exception à retenir : « Quand Whitman parle des lilas », dit Eliot, « ses théories et ses croyances sont balayées bien loin tel un prétexte inutile. » Et nous pouvons effectivement mesurer l’impact que les lilas de Whitman eurent sur Eliot quand on se remémore les premiers vers cultes de The Waste Land: “April is the cruelest month, breeding / Lilacs out of the dead land, mixing / Memory with desire, stirring / Dull roots with spring rain.” La Terre vaine : « Avril est le plus cruel des mois, il engendre / Des lilas qui jaillissent de la terre morte, il mêle / souvenir et désir, il réveille / Par ses pluies de printemps les racines inertes. » Les influences directes de Whitman sont évidentes, et non seulement par la manière dont avril devient cruel avec ses rappels du désir et du souvenir affiliés, mais aussi par le même emploi des participes présents qu’on répète ( breeding, mixing) et qui rime de façon similaire avec « spring (printemps) » dans le troisième vers, sauf que le « printemps » est curieusement déplacé, reclus en avant-dernière position, et donc pas en position de rejoindre les participes qui, eux, se trouvent en bout de vers pour pouvoir être conjugués, y aspirer.

Ces deux poèmes, mâtinés de mélancolie, ne se risquent jamais à nommer la personne que l’on pleure. La plupart des lecteurs supposèrent que Whitman écrivait au sujet de Lincoln, mais le long chant funèbre de Whitman est surtout exemplaire par le fait que jamais ne résonne le nom de « celui que j’aime » : la mort est détachée de toute identité, de toute spécificité et se transforme en une mort encore plus grande, encore plus innommable : si la perte ne peut être nommée, elle finira, dans le poème, par devenir des « armées » de morts, « la bataille des cadavres, par myriades. » Le sujet de l’élégie d’Eliot est encore plus souterrain, caché : il eut une relation amoureuse secrète avec Jean Verdenal, un jeune médecin, durant la Première guerre mondiale, qui fut tué lors de l’atterrissage à Gallipoli, relation qui débuta en avril 1915, exactement cinquante ans après l’assassinat de Lincoln. Dans le seul souvenir publié à propos de Verdenal, Eliot rappelle leur dernière rencontre à Paris, et le lilas y joue son rôle : « si je regarde mon passé, il contient un coucher de soleil sentimental, le souvenir d’un ami qui vient vers moi, traversant le jardin du Luxembourg en fin d’après-midi, agitant une branche de lilas, un ami qui fut plus tard (d’aussi loin que je m’en souvienne) mêlé à cette boue de Gallipoli. » Comme Lincoln, on tira sur Verdenal en pleine tête, et, comme la mort de Lincoln pour Whitman, la mort de Verdenal pour Eliot se fond à la grande mort en masse de la guerre pour devenir une seule et même personne aimée, dont la perte a pour effet d’associer, à tout jamais, la mémoire et le désir à la cruauté de l’éternel retour du printemps, mort qui laisse le monde en mille morceaux. La page de titre des « Lilas » de Whitman utilise des fragments pour la composition des mots du poème, et le poème d’Eliot se termine avec le poète voulant « de ces fragments étayer mes ruines ». Avril est le plus cruel des mois…

—EF

« Quand la dernière fois les lilas fleurirent dans le jardin »

1

QUAND la dernière fois les lilas fleurirent dans le jardin,
Et que, dans la nuit, la grande étoile, de bonne heure, échoua dans le ciel de l’ouest,
Je pleurais... et pleurerai encore avec l’éternel retour du printemps.

Ô printemps et ton éternel retour ! Tu m’offres la trinité à chaque fois ;
Les lilas qui, fidèles, fleurissent, et l’étoile qui vient s’échouer à l’ouest,
Et mes pensées vers celui que j’aime.

2

Ô puissante étoile de l’ouest qui chavire !
Ô ombres de la nuit ! Ô nuit capricieuse, en pleurs ! Ô grande étoile évanouie ! Ô ténèbres absolues qui masquent l’étoile !
Ô mains cruelles qui me paralysent ! Ô mon âme impuissante !
Ô nuage redoutable qui m’encercle, qui bientôt emprisonnera mon âme !

3

Dans le jardin qui se tient devant une ancienne ferme, près d’une palissade blanchie à la chaux,
Se trouve un buisson de lilas, haut en taille, ses feuilles en forme de coeur d’un vert profond,
Avec d’innombrables fleurs dressées, fières, délicates, au parfum tenace que j’adore,
Chaque feuille est un miracle...... née de l’arbuste dans le jardin,
Avec ses fleurs aux couleurs subtiles, ses feuilles en forme de coeur d’un vert profond,
Le bout de la branche, garni d’une fleur, je le casse.

4

Dans le marais, dans un recoin, à l’écart,
Un oiseau timide et reclus siffle sa chanson.

Solitaire, la grive,
L’ermite, enfoncée en elle-même, évitant les colonies,
Toute seule chante une chanson.

La chanson de la gorge qui saigne !
Un hymne à la vie qui délivre de la mort — (car, tendre sœur, je ne le sais que trop,
Si tu n’avais pas reçu le don de chanter, tu ne pourrais que mourir.

5

Au sein du printemps, la terre, parmi les villes,
Les sentiers, qui traversent les bois anciens, (où, il y a peu, les
violettes pointent le ciel, et chaperonnent les débris gris de la terre ;)
Parmi les herbes en plein champs de chaque côté des chemins — filant le long
des herbes qui n'en finissent pas ;
Traversant les barrières de blé jaune, chaque grain libéré de son linceul dans les champs d’un brun foncé ;
Fendant les pommiers blancs et roses des vergers échevelés par la brise ;
Livrant un cadavre jusqu’au lieu où il reposera dans sa tombe,
Nuit et jour, un cercueil, voyage.

6

Le cercueil qui traverse les chemins et les rues,
De jour comme de nuit, et l’épais nuage qui répand son ombre sur le pays,
Avec la mise en berne des drapeaux, et les villes drapées de noir,
Avec le spectacle des États eux-mêmes, telles des femmes voilées de crêpe, debout,
Formant de longues processions serpentines, et les flambeaux dans la nuit,
Avec les innombrables torches allumées — avec un océan de visages sans voix,
et les têtes non découvertes,
Avec l’attente au dépôt, le cercueil qui arrive, et les visages abattus,
Avec les chants funèbres dans la nuit, avec les mille voix qui s’élèvent, puissantes et solennelles ;
Avec toutes les voix tristes des oraisons funèbres, qui encerclent le cercueil,
Les églises à peine éclairées et les orgues qui frissonnent — Où parmi tout ceci vous voyagez,
Avec la sonnerie du glas funèbre et ses cloches qui tintent sans relâche ;
Voici le cercueil qui lentement fait son entrée.
Je vous offre ma branche de lilas.

7

(Pas pour toi, seul, pas pour toi seulement ;
Les fleurs et les branches vertes, je les apporte, pour couvrir les cercueils :
Car telle la fraîcheur du matin — je chante une chanson pour toi, Ô mort inévitable et sacrée.

Partout des bouquets de roses,
Ô mort ! Je te couvre de roses et de lys précoces ;
Et surtout et sans tarder, le lilas qui a été le premier à fleurir,
En abondance, alors je le coupe, je coupe les branches de l’arbuste :
Et, les bras chargés, je viens te couvrir de fleurs, toi,
Toi et tous les cercueils, Ô mort.)

8

Ô orbe de l’ouest, voguant parmi les cieux !
Maintenant, je sais ce que tu voulais dire, depuis un mois que nous marchons,
Alors qu’en tous sens nous marchâmes dans le bleu foncé si mystique,
Alors qu’en silence nous marchâmes dans la nuit sombre et limpide,
Alors que je sentis que tu avais quelque chose à dire, lorsque tu te penchais vers moi nuit
après nuit,
Alors que, du ciel, tu plongeais si bas, jusqu’à mes côtés,
(Tandis que les autres étoiles observaient ;)
Alors que nous flânions tous deux en cette nuit solennelle, (car une chose, je ne sais laquelle, m’empêchait de dormir ;)
Comme la nuit avançait, et que je vis à la lisière de l’ouest,
avant que tu n’approches, comme tu étais ivre de douleur ;
Alors que je me tenais debout sur ce terrain surélevé, dans la brise, goûtant la fraîcheur de la nuit limpide,
Alors que je te voyais passer et que je restais perdu au plus profond de cette nuit noire,
Et que mon âme, rongée par la peine, meurtrie, sombra là où toi, triste orbe,
Rendue, tu tombas dans la nuit, et disparus.

9

Chante donc, là dans le marais !
Ô toi le chanteur tendre et timide ! Je peux entendre tes notes — Je peux entendre ton appel ;
J’entends — je viens sur le champ — je te comprends ;
Mais laisse-moi m’attarder un moment — car l’étoile brillante m’a envoûté ;
L’étoile, qui s’en va, Ô mon camarade, l’étoile qui m’attire et me retient.

10

Ô comment ma voix chantera la romance pour celui qui est mort là et que j’ai tant aimé ?
Et comment habiller mon chant en harmonie avec sa douce et grande âme envolée ?
Et quelle fragrance parfumera la tombe de celui que j’aime ?

Vents marins provenant de l’est et de l’ouest,
Nés de la mer orientale et de la mer occidentale,
Parvenus jusques aux prairies :
Grâce à eux et à ceux-là aussi, et grâce au souffle de mon chant,
Je parfume la tombe de celui que j’aime.

11

Ô comment orner les murs de la chambre mortuaire ?
Et quelles images accrocher à ses murs,
Pour parer la maison funéraire de celui que j’aime ?

Des images du printemps qui renaît, de fermes aussi, de maisons,
Avec le coucher de soleil, à la veille du quatrième mois, et la fumée grise, claire et brillante,
Avec les rayons jaunes dorés et sublimes du soleil qui inondent, ce soleil indolent qui se noie, qui flamboie, qui s’épanouit dans l’air ;
Avec l’herbe douce et fraîche sous les pieds, et les feuilles vert pâle des arbres généreux ;
Au loin l’éclat des flots, le souffle de la rivière,
avec les salves d’un vent, ici et là ;
Avec les collines qui s’étirent jusques aux rives, et maintes stries défiant le ciel, et les ombres ;
Et la ville à portée de main, et les habitations si serrées, et les cheminées à foison,
Et toutes les scènes de la vie, et les ateliers, et les ouvriers rentrant à la maison.

12

Contemple ! De tout ton être, de toute ton âme ! Cette terre !
La toute puissante Manhattan, coiffée de flèches, et ses marées impétueuses scintillantes, et ses navires ;
Ce large et riche pays — le Sud et le Nord dans la lumière — les rives de l’Ohio, et le Missouri étincelant,
Et pour toujours les prairies qui flirtent avec l'horizon, tapissées d’herbe et de blé.

Regarde ! Le soleil sans pareil, si calme, si fier ;
L’aurore d’un violet pourpre, et sa brise à peine caressante :
La lumière douce, naissante et infinie ;
Le miracle, qui s'aventure partout, qui embrasse tout — le zénith épanoui ;
La veille qu’on attend, délicieuse — la nuit bienvenue, et les étoiles,
Ce tout qui éclaire de mille feux mes villes, qui étreint les hommes et la terre.

13

Chante, chante encore, toi l’oiseau à l'habit gris brun !
Chante par-delà les marais, chante de ton antre — que ton chant s'élève des buissons ;
Bien au-delà, bravant le crépuscule, que ton chant s’échappe des cèdres et des sapins.

Jamais ne t’arrête, chante encore, frère chéri — fredonne le chant des roseaux ;
Le chant humain et puissant, à la voix teintée de malheur.
Ô si limpide, si libre, si tendre !
Ô si sauvage et libéré de mon âme ! Ô merveilleux ténor !
Je n’entends que toi...... et pourtant l’étoile me retient, (mais bientôt, s’en ira ;)
Et toujours le lilas, et son parfum impérieux, qui me retient.

Afterword: 

La synesthésie, le mélange des perceptions sensorielles au cœur de « Quand la dernière fois les lilas fleurirent dans le jardin », occupent chez certains artistes une place primordiale dans leur travail. Ainsi Proust goûta une madeleine, et un monde disparu vint l’inonder à nouveau, dont il fit la chronique dans les sept volumes de À la recherche du temps perdu ; Kandinsky attribua des couleurs à certaines notes de musique, qui influèrent sa façon de peindre ; et des compositeurs tels que Liszt, Messiaen, Rimsky-Korsakov, et Sibelius voyaient des couleurs quand ils composaient. L’art, la littérature et la musique peuvent être des expériences multi-sensorielles, qui engagent la gamme complète de l’imagination, et les courants mystérieux qui nous font voyager du familier à l’étrange dépendent dans une certaine mesure de l’union de différents sens — c’est pourquoi il est parfois difficile d’expliquer la réaction que peut faire naître un poème comme « Quand la dernière fois les lilas fleurirent dans le jardin ». Le chagrin de Whitman contribua à faire sortir le meilleur de son écriture, et avec l’assassinat de Lincoln qui symbolise l’inutilité de toutes les morts de la guerre, il en vient à se rappeler le parfum des lilas situés près de la porte de la maison de sa mère, dont la floraison, chaque printemps, déclenchait en lui la promesse d’une nouvelle vie, « chaque feuille un miracle ». Il allait désormais devenir le symbole de son deuil.

Comment transfigurer une telle douleur dans la poésie ? Dans la troisième strophe, Whitman décrit le lilas, « ses feuilles en forme de coeur d’un vert profond » (une expression répétée trois vers plus loin), et la branche en fleurs, dont la rupture constitue son prélude à l’introduction, dans la strophe suivante, au chant d’une grive sifflant son chant « dans un recoin, à l’écart » du marais, un oiseau gris-brun solitaire qui chante « une chanson pour toi, Ô mort inévitable et sacrée ». « Le chant des roseaux » de l’oiseau terne suit le cercueil portant Lincoln dans les rues et les ruelles, les villes et les états, jusqu’à son lieu de repos final, accompagné par les chants funèbres des pleureuses ; avec les vents marins soufflant de l’est et de l’ouest pour se rencontrer dans la prairie et « le souffle de mon chant », le poète va « parfumer la tombe de celui que j’aime ». Ce chant, l’étoile du soir « voguant parmi les cieux », et le « parfum impérieux » des lilas le tiennent dans une étreinte féroce : une « trinité à chaque fois », qui est conçue pour rivaliser avec la Trinité chrétienne du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Les chercheurs réalisent que le corps et la mémoire gardent des traces du traumatisme longtemps après l’événement — ce qui peut expliquer la prévalence de la littérature de guerre dans le monde entier : des poètes et des journalistes, des soldats et des survivants — ils recensent les dommages de guerre, qu’ils soient physiques, psychiques, spirituels. Tout comme le marin dans La Complainte du vieux marin de Coleridge est condamnée à faire le récit de la tragédie qu’il causa par son acte irréfléchi, celui de tuer l’albatros qui suivait son bateau à travers la mer, il en va de même pour la vue ou le parfum des lilas qui rappellent à Whitman le choc qu’il ressentit à l’annonce de la mort de Lincoln. La branche de lilas qu’il imagine placer sur le cercueil est un gage de son élégie, le chant de la grive, et avec ce geste nous aussi, nous nous attardons, en regardant l’étoile qui a chuté trop tôt.

—CM

Question: 

Pour Whitman, la mort de Lincoln s’associe, se mêle au parfum du lilas, avec l’étoile du soir qui vient s’échouer, et avec le chant lointain d’une grive solitaire. Une odeur, un spectacle, un son. Il est difficile de discerner clairement les impressions sensorielles que nous pouvons ressentir lorsque nous vivons l’horreur d’une terrible perte. Pensez à un moment dans votre vie où vous avez associé, pour des raisons que vous ne comprenez pas, une sensation ou un souvenir apparemment sans rapport avec un événement tragique ou une mort que vous venez d'apprendre. Écrivez sur cette apparente dislocation jusqu’à ce qu’elle commence à faire sens. Est-ce que ce processus fut celui de Whitman quand il écrivit « Quand la dernière fois les lilas fleurirent dans le jardin » — le fait d’écrire jusqu’à ce que la trinité des faits apparemment sans rapport trouve sa cohérence, sa raison d’être en devenant un seul et élégiaque souvenir (un trois-en-un) ?

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