Semaine 29, Whitman and the Civil War

Note de Whitman pour un poème sur Satan, qui fait partie de sa recherche sur « Le chant du Divin à quatre faces ». [Poème du “(Diable (en contrepoint de l’idée reçue de Satan (sic)]. Archive de Walt Whitman.
Note de Whitman pour un poème sur Satan, qui fait partie de sa recherche sur « Le chant du Divin à quatre faces ». [Poème du “(Diable (en contrepoint de l’idée reçue de Satan (sic)]. Archive de Walt Whitman.
Foreword: 

On trouve un certain nombre de poèmes dans Roulements de Tambours et Suite qui peuvent paraître, de prime abord, des insertions étranges dans un livre de poèmes qui est consacré à la guerre de Sécession, et « Le Chant du Divin à quatre faces » est l’un de ceux-là. Qu’est-ce que ce curieux poème théologique d’un Dieu aux quatre côtés a à voir avec la guerre ? Et que faire de son titre grammaticalement imparfait, composé d’un participe suivi d’un article défini et de deux adjectifs en suspens ? Whitman avait pensé à ce poème durant toute la guerre, et dans son exemplaire de travail de l’édition de 1860 des Feuilles d’herbe, il avait pris des notes personnelles concernant l’ajout du poème au sein de la prochaine édition — à l’époque, il envisageait l’appeler « Quadriune » ou « Deus Quadriune » (il inventa aussi d’autres noms possibles pour ce dieu composé de quatre personnes à la fois, y compris « Quatuor », « Quatruna », et « Quadrel »). Quand il se décida pour le « Divin à quatre faces », il transforma un adjectif — signifiant « rendant divin » — en un nom, rendant compte de l’action de rendre divin. Ce qui est « psalmodié » dans ce poème est l’acte de création d’un dieu, la performance poétique d’une divinité nouvelle et en constante évolution. Et dans le style participial typique à Whitman, cet acte est continu — un chant sans fin d’un dieu toujours actif et en conflit, dont l’aspect se métamorphose. Les Américains, Whitman le suggère, resteront à jamais dans l’acte de créer un dieu mais sans jamais se décider pour un.

Et cette nouvelle divinité capable de se transformer, nous pouvons le réaliser, est un dieu soigneusement conçu pour une nation qui venait presque d’être brisée en deux, un dieu pour une Amérique réunifiée qui a en elle le constant désir de se révolter, d’essayer de pousser plus loin les limites. Cette envie satanique et inéluctable de se rebeller est quelque chose auquel Whitman s’était déjà intéressé à étudier et ce, dès le début des Feuilles d’herbe (il appela l’esclave rebelle Lucifer dans « The Sleepers / Les Endormis »), mais il fut plus important encore de le sonder durant la guerre, lorsque la Confédération, pour sa sécession révolutionnaire de l’Union, usa du même mode de pensée, du même raisonnement que celui que les colonies d’origine utilisèrent pour leur sécession révolutionnaire de Grande-Bretagne.

Plus tard, Whitman lutta pour expliquer la signification du poème : « Il serait difficile de livrer une expression rationnelle de l’idée : l’idée de l’équité spirituelle — de la substance spirituelle : l’entité du carré-quatre — le nord, le sud, l’est, l’ouest de l’univers constitué (même l’univers de l’âme ) — les quatre côtés tels les piliers de l’univers (le quelque chose de surnaturel) : ce n’est pas le poème, mais l’idée contenue derrière le poème ou en dessous du poème ». Whitman fait usage de la géographie ici — un dieu qui amène « l’équité spirituelle » au « nord, au sud, à l’est et à l’ouest », est signifiant car ce sont les régions du pays — le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest — que Whitman essayait continuellement d’unir et de réunir après la guerre (pensez à « Ô Pionniers »).

Mais ce dieu quadruple — une expansion nerveuse de la Trinité — est révélateur de l’histoire américaine, ainsi que le critique Kerry Larson l’a proposé. Le premier côté de la nouvelle divinité est le Législateur — Jéhovah, Brahmā, Saturne, le « père » qui est « toujours muni des lois sans failles », le dieu de l’Ancien Testament prononçant « des jugements intraitables, sans remords aucun ». D’un point de vue politique, ce Dieu est la Constitution des États-Unis, le document juridique qui définit comment la nation doit se gouverner. Mais cette Constitution était bien sûr écrite par les révolutionnaires, par le côté de la divinité qui est toujours prête à « fomenter la rébellion » et qui apparaît « rusée comme personne », « fière », « rebelle » et « guerrière ». La Confédération représentait l’exemple le plus évidemment dangereux dans l’histoire américaine de cette force satanique toujours vivace, mais Whitman présente cet « allié des criminels » comme aussi le « frère des esclaves », et le dépeint ayant le visage d’un « Shudra » et « noir ». Les révoltes d’esclaves dans l’Amérique antebellum étaient souvent justifiées (par les abolitionnistes et par les esclaves eux-mêmes) avec un appel à l’édification, à la construction révolutionnaire de la nation, à sa Déclaration d’Indépendance, à sa foi dans le droit, pour ceux qui se sentaient opprimés, de se rebeller contre leurs oppresseurs. Contenue, enracinée en profondeur dans l’histoire américaine, telle est la tension que Whitman, plus tard, définira comme « égotisme », la lutte sans relâche pour les droits individuels et la responsabilité collective, pour l’autonomie de chaque état et le contrôle fédéral. Lorsque la Révolution fut insérée dans un document gouvernemental, la Constitution elle-même ne tarda pas à paraître oppressive pour certains, et l’histoire américaine devint un combat sans relâche pour la façon dont la nation, ses états membres et ses citoyens interprétaient la protection de la Constitution, de ses droits individuels divers par rapport à la faveur d’un lien social commun.

Ainsi donc, l’Amérique, le décida Whitman, avait besoin d’un panseur de plaie inclus dans la divinité, un « consolateur » comme le Christ ou Hermès (ou comme Whitman qui fut visiteur dans les hôpitaux), qui est « le Dieu qui apporte la joie, qui répand l’espoir, et la Charité qui embrasse tout », et léguant un « doux Amour, en héritage » à tous les enfants de la nation, perdus et insatisfaits, qui ont fini par se sentir déracinés. « Le Divin à quatre faces » de Whitman est donc une divinité contenant l’Union qui proclame sa loi, la Confédération rebelle, et l’esprit d’amour, de pardon, et de guérison qui répare les inévitables fractures qui surgissent lorsque la loi en arrive à être éprouvée par la rébellion et quand, ensuite, la loi en vient à être modifiée pour éteindre cette rébellion (puisque la Constitution fut modifiée pour abolir l’esclavage et accorder les droits de la citoyenneté aux anciens esclaves, aux femmes, et même aux anciens Confédérés). Le dieu « carré » de Whitman incarne l’aspect satanique de la divinité, ce qui fait de ce très particulier dieu américain un auto-challenger, un dieu qui systématiquement met à l’épreuve, teste sa propre autorité, qui pousse les lois jusqu’au bout de leurs limites, qui modifie et élargit, repousse ce qui avait été auparavant considéré comme limites.

Le quatrième côté de cette divinité, alors, est « Santa Spirita », celle qui « insuffle la vie », « l’Âme matrice », qui est à la fois « éthérée » et « infrangible ». Cet aspect de la divinité est l’esprit de réconciliation lui-même, l’artisan assembleur de Dieu et de Satan qui démontre que chacun a besoin de l’autre pour se définir lui-même (sans révolte, les limites de la loi sont invisibles ; sans les limites de la loi, il n’y a pas d’arène pour la révolte). La transgression a besoin de limites afin d'être considérée comme telle ; les limites ont besoin de la transgression pour montrer de quelle nature elles sont faites. Le « souffle » du « Santa Spirita », nourricier et unificateur, est l’inspiration même et la respiration de l’histoire de la nation, tandis qu’elle continue de fluctuer de façon effrénée et incessante entre la célébration des droits de l’individu et celle des droits de la multitude variée, entre aider le puissant et aider le faible, entre choisir le « rouge » et choisir le « bleu » (ainsi que nos cartes électorales actuelles visualisent le conflit).

Alors que cette inspiration nationale et son expiration vont de l’avant, « l’esprit » tendu du pays puise sa force dans l’histoire même que nous vivons. Ce que nous sommes en tant que nation est le résultat de la respiration que l’« âme matrice » produit. Cette dure réalité peut, parfois, être horrible et brutale, mais en définitive, et Whitman le croit, l’Union est préservée, les nouvelles limites sont établies, la réconciliation se fait, même si la rébellion œuvre à semer ses graines à nouveau, et toujours de manière étonnante et révolutionnaire. L’Amérique continue à psalmodier ce chant de création d’un dieu, et son esprit est le souffle même de ce poème sur sa page rectangulaire — quatre côtés contenant des facettes sans cesse tendues et guerrières et réconciliatrices et salvatrices.

—EF

« Le Chant du Divin à quatre faces »

1

PSALMODIER le Divin à quatre faces, en s’inspirant de Lui qui avance, à partir des côtés ;
En s’inspirant de l’ancien et du nouveau — à partir du carré divin en tous points,
Puissant, à quatre côtés, (tous indispensables) ... du côté de
JEHOVAH je suis,
De Brahmā l’ancien, et de Saturne aussi je suis ;
Le Temps n’a pas de prise sur moi — je suis le Temps, aussi actuel que n’importe qui ;
Incorruptible, implacable, je fais appliquer les justes jugements ;
Comme la Terre, le Père, le vieux Kronos brun, à l’aide des lois,
Arrivé à l’âge sans âge — et pourtant nouveau, à chaque fois — toujours muni des lois sans failles,
Implacable, je n’accorde le pardon à personne — celui qui péche, meurt — la vie de cet
homme sera mienne ;
Ainsi donc, que personne ne réclame la miséricorde — Est-ce que les saisons, la gravitation, les jours dits ont pitié de nous ? — Moi non plus ;
Mais comme les saisons, et la gravitation — et tous les jours dits, qui ne pardonnent pas,
Je prononce, en partant de ce côté, des jugements intraitables, sans remords aucun.

2

Le consolateur le plus tendre, l’élu est en marche,
Ma douce main tendue, je suis le Dieu tout puissant,
Celui que les prophètes et les poètes ont annoncé dans leur prophéties et leurs poèmes les plus contemplatifs ;
De ce côté, voyez ! Comme le Seigneur Christ porte son regard — voyez ! Je suis Hermès — voyez ! J’ai le visage d’Hercule ;
Toute la peine, le labeur, la souffrance, moi, en les énumérant, je les fais miens ;
Plusieurs fois, rejeté, je l’ai été, raillé aussi, emprisonné, et crucifié — et plusieurs fois encore, je le serai ;
J’ai renoncé au monde dans son entier pour le salut de mes frères et sœurs chéris — pour le salut de l’âme ;
Mon chemin, je l’ai suivi en visitant la maison des pauvres, des riches, en offrant le baiser de l’affection ;
Car je suis l’affection — je suis le Dieu qui apporte la joie, qui répand l’espoir, et la Charité qui embrasse tout ;
(Toujours conquérant — car toutes les armées et tous les soldats de la terre n’ont cessé de se prosterner devant moi — et toutes les armes de guerre deviennent vaines :)
Armé de la parole toute indulgente — celle qu'on dit aux enfants — avec des mots nouveaux et purs, rien que les miens ;
Je croise les jeunes et les vaillants, avec la conscience d’être moi-même promis à une mort prochaine :
Mais ma Charité ne connaît pas la mort — ma Sagesse non plus, ni maintenant, ni plus tard,
Et mon doux Amour, en héritage, parsemé ici et ailleurs, jamais ne s’éteint.

3

Distant, de mauvaise humeur, fomentant la rébellion,
L’allié des criminels, le frère des esclaves,
Fourbe, méprisé, bon à tout faire, ignare,
Ayant le visage d’un Shudra au front marqué — noir, mais au fond de mon cœur, fier comme personne ;
Dressé, maintenant et toujours, contre qui que ce soit, dédaigneux, s’arrogeant le droit de me dominer ;
Lugubre, rusé comme personne, se souvenant de tout, broyant du noir, avec beaucoup de malices,
(Même si on m’a cru perdu et chassé, privé de mes ruses, cela ne sera jamais ;)
Moi, SATAN, encore vivant, défiant sans relâche — je profère encore ma parole — sur les terres nouvelles, qui émergent comme il faut, (et sur les anciennes terres aussi ;)
Éternel ici, de mon côté, guerrier, à égalité avec tout, réel comme tout,
Ni le temps, ni le changement, jamais ne réussiront à altérer ma personne ou ma parole.

4

Santa SPIRITA, le Souffle, la Vie,
Par-delà la lumière, plus subtile que la lumière,
Par-delà les flammes de l’enfer — auréolée de joie, sautant facilement par-dessus l’enfer ;
Par-delà le Paradis — parfumée exclusivement avec mes propres essences ;
Embrassant toute vie sur terre — touchant tout, même Dieu —
et le Sauveur et Satan aussi ;
Éthérée, infusant le tout, (car sans moi, que serait le tout ? que serait Dieu ?)
Origine des formes — mère des identités vraies, immuables, positives, (c’est-à-dire l’invisible,)
Suc du vaste monde alentour, du soleil et des étoiles, et de l’homme — Moi, l’Âme matrice,
Ici finit le carré, infrangible, moi l’infrangible,
Respirez mon souffle aussi grâce à ces petits chants.

Afterword: 

La création d’un Dieu fait partie intégrante de la poésie religieuse, des Psaumes et du Cantique des Cantiques jusqu’au Ramayana et aux vers extatiques de Rumi. Le Shahnameh de Ferdowsi, La Divine Comédie de Dante, Le Paradis Perdu et Le Paradis Retrouvé de Milton, L'Étroit chemin du fond de Bashō, Le Rêve de Sor Juana Inés de la Cruz, les livres prophétiques de William Blake, et Le Deuxième Espace de Czeslaw Milosz — tous recherchent le divin, décrivant en termes physiques ou métaphoriques ce qui dépasse inévitablement notre compréhension. Ces œuvres, et d’autres aussi, dont les traditions religieuses diffèrent, suggèrent que la quête spirituelle réside au cœur de la condition humaine. Il était donc pertinent, vu les répercussions de la guerre de Sécession, que Whitman révisa sa compréhension de la cosmologie pour expliquer et s’essayer à combler le fossé entre le Nord et le Sud. Pour paraphraser un vers de l’élégie de Auden à Yeats : la folie de la guerre avait écorché vif Whitman, lui imposant une nouvelle vision de la poésie, qui, dans le cas du « Chant du Divin à quatre faces » propose une divinité qui incarne la tension au cœur de l’expérience américaine : les exhortations parallèles, et à la révolte et à la conciliation, qui, depuis la fondation de la république, ont façonné son histoire.

Les voix qu’il adopte, salvatrices et sataniques, représentent les différents pans de l’être, les différentes façons d’appréhender la réalité, « que les prophètes et les poètes ont annoncé dans leur prophéties et leurs poèmes les plus contemplatifs ». Les mots clés de « Quand la dernière fois les lilas fleurirent dans le jardin » et de « Chant de Moi-même » apparaissent dans un seul vers dans la deuxième strophe : « Toute la peine, le labeur, la souffrance, moi, en les énumérant, je les fais miens ». À la tâche herculéenne d’absorber tout, qui avait préoccupé Whitman avant la guerre, il faut maintenant ajouter l’énumération de la douleur et de la perte — conditions préalables pour sa construction de « l’Âme matrice, / Ici finit le carré, infrangible, moi l’infrangible ». Voici la version la plus développée de l’âme, qui sera suffisante pour le reste de son voyage : « Respirez mon souffle aussi grâce à ces petits chants. »

Le dieu quadruple de Whitman rappelle non seulement les quatre points cardinaux, les quatre saisons de l’année, les quatre éléments, et les quatre chapitres essentiels de la vie, mais aussi la vision quadruple de Blake, qu’il cita dans une lettre à Thomas Butts le 22 novembre 1802 :

Maintenant je contemple une vision quatruple,
Une vision quatruple m’est donnée ;
Elle est quatruple dans ma joie suprême,
Triple dans la douce nuit de Beulah,
Et double toujours. Dieu nous garde

De la vision simple et du sommeil de Newton !

Beaulah était la figure allégorique de Blake pour représenter le subconscient, la source de toute poésie et des rêves, sans laquelle il est impossible de saisir le tout. Il ne tombe pas dans le piège d’une vision simple, manichéenne ou technique du monde. Son argument existe pour servir une multiplicité de points de vue qui, bien-sûr, fait goûter au « plaisir suprême » de pouvoir lire Whitman avant et après la guerre de Sécession.

—CM

Question: 

Que vous croyiez en Dieu ou non, en un dieu, en plusieurs dieux, ou en aucun dieu, il peut souvent être intéressant d’imaginer comment serait le dieu idéal — quelles seraient les qualités de votre dieu idéal, souhaité, combien de côtés, combien d’aspects aurait-il. Est-ce que votre dieu serait sexué, sans sexe, multi-sexué ? Serait-il tout-puissant ou son pouvoir aurait-il des limites ? Y a-t-il quelque chose dans le monde qui fait penser à votre dieu, qui semble être créé à son image ? Est-ce que votre dieu se mêle des affaires du monde ou est-ce qu’il s’en démarque ? Écrivez à propos d’un dieu qui vous viendrait en aide (ou que vous serviriez) lors de vos pires jours.

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